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donnais mon adhésion sans restrictions aux termes du message, je renierais donc les actes de mon frère et des souverains ses alliés. L’Autriche, la Prusse, l’Angleterre même, ne peuvent accepter une pareille injure. J’avoue que, plein de confiance dans la raison ferme et droite du prince-président, je ne m’attendais pas à une semblable déclaration de principes. J’ai toujours été son partisan, et il ignore encore les services que je lui ai rendus ; à Berlin surtout, mon rôle d’intermédiaire a été difficile. Maintenant, quand toutes les difficultés sont aplanies, toutes les susceptibilités éteintes, toutes les craintes dissipées, voilà que tout semble remis en question par les termes de ce malheureux message.

« — Votre Majesté, répondit le général, donne une trop grande importance à ce document. Les termes et la forme dont s’est servi le prince lui ont été imposés par les nécessités de sa politique intérieure ; il n’y a rien dans notre transformation qui puisse blesser l’amour-propre national des autres peuples ; chacun a eu sa part de gloire et de revers, et il est temps qu’ils jouissent en commun des bienfaits de l’ordre et de la paix. »

Le général de Castelbajac, en rendant compte de son audience, ajoutait pour atténuer la vivacité des paroles qu’il venait de recueillir : « Les termes du message ont évidemment altéré la confiance de l’empereur Nicolas en l’avenir et froissé son amour-propre ; ils lui ont fait mettre plus d’animation et d’insistance dans la discussion des conditions concernant la ligne collatérale et le titre de Napoléon III qu’il ne l’a fait jusqu’à présent, mais s’il ne désavoue pas ses principes légitimistes, il fait cependant bon marché du comte de Chambord et des princes d’Orléans ; il regarde ces derniers comme la révolution incarnée, et, quant au premier, tout en l’affectionnant et le plaignant, il m’a dit qu’il le regardait non-seulement comme impossible, mais comme dangereux, et que, s’il dépendait de lui de le remettre sur le trône, il se garderait bien de le faire dans l’état actuel de l’Europe. »

En sortant de l’audience impériale, M. de Castelbajac se rendit chez le chancelier. Le comte de Nesselrode ne récrimina pas comme son maitre, mais il précisa sa pensée, a L’empereur, disait-il, a de l’estime pour le prince, mais il ne peut renier le passé, le passé réel, historique, glorieux pour son frère Alexandre et la Russie. Il ne peut s’engager pour un avenir que la position personnelle de Louis-Napoléon, qui n’a pas d’héritier direct, rend incertain. Il le reconnaîtra empereur, il entretiendra avec lui de bonnes relations ; mais, s’il est pour la France Napoléon III, il ne peut être pour la Russie que l’empereur Louis-Napoléon. Il ne fera, du reste, aucune protestation politique ; il se bornera à ne pas