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compte de la belle conquête et de la belle armée dont la révolution le séparait brusquement.

Voici cette lettre, testament militaire du gouverneur-général de l’Algérie : « Monsieur le ministre, fidèle jusqu’au dernier moment à mes devoirs de citoyen et de soldat, je suis resté à mon poste tant que j’ai pu y croire ma présence utile au service du pays. J’apprends à l’instant, par le Moniteur, le nom de mon successeur. Soumis à la volonté nationale, je remets le commandement à M. le général Changarnier jusqu’à l’arrivée à Alger de M. le général Cavaignac. Demain, j’aurai quitté la terre française.

« J’ai eu l’honneur d’appeler votre attention sur les besoins de la défense des côtes et du service des subsistances. Je ne puis que renouveler mes instances à cet égard. L’armement des batteries, dont j’avais fait entreprendre la construction il y a deux mois, est commencé. L’artillerie de la milice s’exerce à la manœuvre et au tir du canon. J’ai donné à M. l’intendant de l’armée des ordres pour hâter et augmenter partout les achats de grains et de viande sur pied.

« Je ne dois pas vous laisser ignorer que, prévoyant depuis un mois le cas où la France pourrait avoir besoin d’une partie de son armée d’Afrique pour la porter sur un point quelconque de l’Italie, j’avais prescrit aux deux commandans des divisions d’Alger et d’Oran de prendre, sous des prétextes divers et sans éveiller l’attention, des dispositions telles qu’une force effective de 15,000 baïonnettes, prises dans les plus vieilles troupes de l’armée, pût être embarquée, quatre jours après l’ordre donné, dans les ports d’Alger, d’Arzeu et d’Oran. Ces dispositions sont effectuées aujourd’hui.

« La France peut compter sur son armée d’Afrique. Elle trouvera ici des troupes disciplinées, braves, aguerries ; elles sauront partout donner l’exemple de toutes les vertus militaires et du plus pur dévoûment au pays. J’avais espéré partager leurs dangers et combattre avec elles pour la patrie… Cet honneur m’est enlevé ; mais, du fond de l’exil, tous mes vœux seront pour la gloire et le bonheur de la France ! »

Puis, avec la même élévation de sentimens, presque dans les mêmes termes, il dicta ses adieux aux troupes et aux colons. A l’armée, il disait : « M. le général Changarnier remplira par intérim les fonctions de gouverneur-général jusqu’à l’arrivée, à Alger, de M. le général Cavaignac, nommé gouverneur-général de l’Algérie. En me séparant d’une armée modèle d’honneur et de courage, dans les rangs de laquelle j’ai passé les plus beaux jours de ma vie, je ne puis que lui souhaiter de nouveaux succès. Une nouvelle carrière va peut-être s’ouvrir à sa valeur ; elle la remplira glorieusement. j’en ai la ferme croyance.