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« Officiers, sous-officiers et soldats, j’avais espéré combattre encore avec vous pour la patrie ! .. Cet honneur m’est refusé ; mais, du fond de mon exil, mon cœur vous suivra partout où vous appellera la volonté nationale ; il triomphera de vos succès ; tous ses vœux seront toujours pour la gloire et le bonheur de la France. »

Il disait aux colons : « Habitans de l’Algérie, fidèle à mes devoirs de citoyen et de soldat, je suis resté à mon poste tant que j’ai cru ma présence utile au pays. Cette situation n’existe plus. M. le général Cavaignac est nommé gouverneur-général de l’Algérie. Jusqu’à son arrivée à Alger, les fonctions de gouverneur-général par intérim seront remplies par M. le général Changarnier. Soumis à la volonté nationale, je m’éloigne ; mais, du fond de l’exil, tous mes vœux seront pour votre prospérité et pour la gloire de la France, que j’aurais voulu pouvoir servir plus longtemps. »

Le 3 mars, dès les premières heures du jour, une foule anxieuse, agitée, se pressait sur la place du Gouvernement, dans la rue de la Marine, à l’embarcadère. Français, Européens, Maures, Juifs, Arabes, soldats, marchands, ouvriers, matelots, tous attendaient, sous un ciel sombre, sous une pluie froide, le départ des nobles exilés. A dix heures, on les vit apparaître au seuil du palais, le duc d’Aumale d’abord, le prince de Joinville donnant le bras à la duchesse d’Aumale, la princesse de Joinville conduite par le général Changarnier. Une rumeur sympathique les accueillit et les accompagna jusqu’au port, tandis que l’artillerie de terre et de mer les saluait pour la dernière fois de la salve royale. « La France, écrivait quelques jours après le lieutenant-colonel Durrieu, la France, en condamnant ces deux jeunes gens à l’exil, repousse de son sein deux admirables Français. Je n’oublierai jamais le trajet de ces deux familles princières se rendant à pied, dans la boue, du palais du Gouvernement à la Marine, sans autre escorte que celle de leurs amis accourus pour saluer une dernière fois ces beaux jeunes gens qu’ils estimaient et aimaient tant. Cette marche a été un vrai triomphe. »

Une demi-heure après, à bord du Solon, ils s’éloignaient dans la direction de Gibraltar. Ils s’éloignaient de cette terre algérienne, dont ils avaient, pour leur part, accru le domaine de la patrie française. La haine révolutionnaire bannissait leur personne ; elle était impuissante à bannir leur mémoire. Les noms glorieux de la Smala, de Tanger, de Mogador, sont de ceux qui ne peuvent pas être effacés des annales de la France, même ingrate.


CAMILLE ROUSSET.