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n’être pas absolument dépourvue de portée, n’en a qu’une insuffisante. Ces partis en lutte sont bien des critiques sévères les uns des autres, des ennemis sans merci ; mais, en dehors des idées générales qu’ils servent et qui diffèrent, leurs procédés pratiques d’administration, leurs défauts qui tiennent à leur nature, sont, avec quelque diversité d’intensité, à peu près les mêmes.

Une autre objection plus fondée, c’est que la concurrence vitale existe pour l’état, sinon dans l’intérieur même de chaque état, du moins dans ses relations avec les états voisins ; elle se manifeste même de la façon la plus énergique, la plus dramatique, par la guerre, l’invasion, le démembrement ou l’annexion. Ici l’objection est exacte : la guerre est l’un des modes de la concurrence entre les états ; il n’y a pas de doute que les peuples faibles, par vice d’organisation ou de direction, par lâcheté, ont été dans le passé la proie des peuples forts ; et, n’en déplaise à ceux qui rêvent la paix universelle, rien ne prouve qu’il en doive être autrement à l’avenir. Mais ce mode de concurrence entre les peuples ne s’applique pas à l’ensemble de l’activité des nations ; il concerne une manifestation particulière de cette activité, l’organisation militaire et l’organisation politique, dont, en dépit des jugemens superficiels, la première dépend essentiellement. Puis, ce genre de concurrence n’agit qu’à d’assez longs intervalles, qui n’ont pas une périodicité régulière ; on l’oublie, on le perd de vue ; il n’a sur la plupart des esprits que cette faible influence qu’exercent sur les natures peu prévoyantes les événemens incertains et à échéance indéterminée.

Un publiciste ingénieux a supposé qu’on pourrait un jour instituer entre les états une concurrence permanente, palpable, toujours agissante : il la voyait naître déjà, en l’absence même de l’hypothèse de guerre : « L’idée de soumettre les gouvernemens au régime de la concurrence, écrit M. de Molinari, est généralement encore regardée comme chimérique. Mais, sur ce point, les faits devancent peut-être la théorie. Le droit de sécession, qui se fraie aujourd’hui son chemin dans le monde, aura pour conséquence nécessaire l’établissement de la liberté de gouvernement. Le jour où ce droit sera reconnu et appliqué dans toute son étendue naturelle, la concurrence politique servira de complément à la concurrence agricole, industrielle et commerciale. » Et, plus loin, le spirituel auteur ajoute : « Pourquoi les monopoles politiques ne disparaîtraient ils pas à leur tour comme sont en train de disparaître les monopoles industriels et commerciaux ? » M. de Molinari est un des écrivains les plus subtils de ce temps. Il suffit de citer ce passage pour faire admirer son imagination. Mais le droit de sécession est loin de se frayer son chemin dans le monde : ni le Sonderbund en Suisse, ni les états confédérés en Amérique n’ont pu