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On pourrait reprocher à ces dernières associations d’avoir les défauts de leurs qualités : étant, nous l’avons dit, constituées plus ou moins comme des aristocraties ou des monarchies tempérées, elles peuvent se rendre coupables de favoritisme ou de négligence. Le népotisme n’est certes pas étranger aux sociétés libres ; mais ses résultats y sont moins pernicieux, en général, que dans les administrations d’état. Précisément parce qu’il y a plus de permanence dans l’administration et la direction des grandes associations de capitaux, que les chefs y sont à la fois peu nombreux et permanens, on ne voit pas ces couches diverses de favoris qui viennent se superposer les unes aux autres dans les administrations d’état, à chaque changement de ministres ou de direction parlementaire. Le népotisme y est, en quelque sorte, plus endigué, parce qu’il ne se représente pas à chaque instant par la succession rapide de ceux qui pourraient l’exercer.

Quant à la négligence, à l’incurie, certes, il s’en rencontre dans les sociétés anonymes comme partout. Mais ici se présentent deux observations importantes : la première, c’est que la concurrence est incessante pour les sociétés anonymes. Toute entreprise privée qui se relâche, alors qu’elle n’est pas constituée en monopole, s’achemine à une destruction rapide dont les directeurs et le public sont bientôt avertis. Les inventaires de fin d’année, les dividendes qui se réduisent ou qui disparaissent, les cours des titres qui fléchissent, sont autant d’avertissemens précis. La concurrence ne laisse pas un moment en repos la généralité des entreprises privées. Bagehot, dans son pénétrant ouvrage, Lombard-Street, a montré d’une façon saisissante les avantages que détiennent, par exemple, à certains points de vue, pour la hardiesse des opérations, les jeunes maisons de banque relativement aux grandes maisons plus anciennes. L’avertissement que donnent aux administrateurs négligens les divers symptômes que nous venons d’indiquer est autrement énergique et précis que les vagues embarras d’un budget d’état ; l’émotion causée parmi les actionnaires est bien plus forte que celle que les contribuables ressentent des déficits.

Il peut arriver, toutefois, qu’une direction ou une administration privée incapables ne se laissent pas suffisamment stimuler par la concurrence : l’entreprise mal conduite finit par être éliminée ; ce n’est qu’une affaire de temps. La routine absolue, non plus que le gaspillage persistant, ne peuvent se prolonger indéfiniment dans une entreprise libre. C’est à courte échéance la mort pour l’entreprise, la perte pour les associés. Du moins, cette perte ne tombe-t-elle que sur ceux qui ont eu foi dans l’œuvre, non pas sur le public en général. On a monté à grands fracas de publicité telle ou