Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rentré dans le Maroc, au mois de juillet 1846, Abd-el-Kader se raidissait obstinément contre la mauvaise fortune ; son retour fut signalé par une sourde agitation des deux côtés de la frontière, chez les Beni-Snassen au-delà, chez les Trara en-deçà. Afin d’être prêt à tout événement, le général Cavaignac envoya le colonel de Mac-Mahon à Sebdou, et s’établit de sa personne entre Lalla-Maghnia et Djemma-Ghazaouat.

Trois mois se passèrent ainsi sans incidens bien significatifs ; mais, en octobre, on apprit qu’une scission s’était faite dans la deïra, que Bou-Maza s’était mis en désaccord avec l’émir, et que, soit qu’il fût inquiet pour sa vie, ou seulement fatigué de sa réclusion, il avait pris le parti de rentrer pour son propre compte en campagne. « Je vous annonce, écrivait-il aux Ghossel, que vous aurez bientôt le bonheur et la joie, s’il plaît à Dieu. Je vous annonce que je ne suis plus sous les ordres de Hadj-Abd-el-Kader, et qu’il n’y aura plus rien de commun entre nous. »

Avant de suivre le chérif dans ses nouvelles aventures, il est important d’étudier de près les actes et la politique de l’émir. On sait que, pour faire croire aux populations indigènes qu’il se trouvait toujours en état de traiter avec les Français, il engageait le plus souvent possible des pourparlers relatifs à l’échange ou au rachat des prisonniers. C’étaient les survivans du massacre de la deïra qui naturellement faisaient l’objet principal de ces communications, et c’était avec M. Léon Roches, alors secrétaire de légation à Tanger, qu’il semblait le plus naturel qu’Abd-el-Kader s’entendit volontiers à leur égard. Cependant l’émir soulevait une difficulté : négocier à Tanger, c’était accepter ou paraître accepter le patronage du gouvernement de Fez, tandis que sa prétention était de traiter directement avec la France, et il faisait écrire expressément dans ce sens-là par le principal de ses prisonniers, le lieutenant-colonel Courby de Cognord, au général Cavaignac.

Autorisé par le gouvernement français à négocier avec Abd-el-Kader, le général adressa, le 5 octobre, au lieutenant-colonel Courby de Cognord, pour être mises par lui sous les yeux de l’émir, les conditions précises de l’échange. Mais, longtemps avant l’arrivée de cette lettre, qui fut retenue d’ailleurs par Abd-el-Kader sans que le destinataire en eût eu connaissance, une péripétie nouvelle avait compliqué l’imbroglio. Le 18 septembre, un des chefs de la deïra était venu demander aux prisonniers s’ils voulaient traiter de leur rançon, non pas avec l’émir, qui n’en saurait rien, mais avec les khalifas, qui en feraient personnellement leur affaire. Que l’émir voulût paraître étranger au marchandage, on peut le comprendre, mais qu’il n’en sût rien, c’est inadmissible.