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qui lui incombe ; nous verrons dans quel esprit, par quelle méthode, avec quelle prudence il s’en doit acquitter.

Un autre caractère de l’état, c’est qu’il possède la perpétuité, ou qu’il est censé la posséder. Il dure des séries de siècles. Il doit donc représenter les intérêts perpétuels et les sauvegarder contre l’imprévoyance des intérêts présens. C’est une des fonctions les plus importantes de l’état. L’individu, ou plutôt un grand nombre d’individus, les moins prévoyans, ceux qui se possèdent le moins eux-mêmes, cèdent souvent à la tentation des jouissances immédiates, et leur sacrifient un bien-être futur. Quand ils ne lèsent ainsi qu’eux-mêmes, l’état n’a pas en général à intervenir. Mais quand ils détériorent les conditions générales d’existence de la nation dans l’avenir, l’état manque à son évidente mission en s’abstenant. L’état représentant ainsi la perpétuité, divers devoirs nombreux en découlent pour lui, parfois d’action, plus souvent de contrôle. Il est fort rare que l’état moderne s’en acquitte bien. Cependant, il a supprimé, souvent par jalousie, la plupart des grandes corporations durables qui autrefois suppléaient à son abstention.

L’état est le gardien naturel, le protecteur des êtres faibles qui sont destitués d’appui. C’est un devoir auquel l’état moderne n’a aucune tendance à se dérober. Il tend même à s’en exagérer l’étendue. Il n’est pas tenu de procurer le bonheur universel. Cette mission de l’état comporte des difficultés très grandes d’application ; quand on y mêle une sentimentalité excessive, quand on perd de vue la nature des choses qui veut que chacun soit responsable de ses faiblesses et en souffre, on risque d’énerver la société et de la rendre moins apte au progrès.

L’état enfin, dans une mesure très variable, suivant les temps, les lieux, peut prêter un concours accessoire, secondaire, au développement des œuvres diverses qui composent la civilisation, et qui émanent de l’initiative individuelle ou des groupemens libres d’individus.

Il n’échappera pas au lecteur que, tandis que les premières fonctions que nous venons d’indiquer, la sécurité, la justice, la conservation des conditions favorables du milieu physique où se meut la nation, sont susceptibles de beaucoup de précision et de netteté, les deux dernières, au contraire, la protection des faibles, le concours accessoire donné aux œuvres civilisatrices, ne peuvent être déterminées avec la même rigueur. Il y a là une part d’appréciation variable, et c’est surtout de ce côté que l’état, dans sa trinité de pouvoir central, de pouvoir provincial et de pouvoir local, se livre à des envahissemens qui le font sortir de son rôle. Un