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mais, puisque sans doute ce ne sont pas celles dont M. de Maupassant se sait à lui-même le plus degré, il nous suffira de les avoir signalées…

Car nous avons encore quelques mots à dire, et toutes ces qualités, comme quelques-uns aussi de ces défauts, nous ne saurions terminer sans faire observer à quel point ils sont « de race, » — j’entends ici français et classiques. Certes, j’apprécie cette sensibilité, dont les chefs-d’œuvre littéraires, avant d’appartenir au roman russe, nous ont jadis été donnés par les romanciers anglais, par l’auteur d’Adam Bede, par celui de Jane Eyre, par celui de David Copperfield ; et j’ai souvent regretté de n’en pas retrouver l’accent chez nos romanciers français. Mais je ne sais pourquoi, le fait est qu’elle tourne chez eux, presque toujours, à la sensiblerie ou à la sentimentalité, et il paraît bien certain qu’elle manque presque entièrement dans les Contes de Voltaire, par exemple, ou encore chez Le Sage, dans Gil Blas et dans le Diable boiteux. C’est ce que M. de Maupassant pourra toujours aisément répondre à ceux qui lui reprocheront trop vivement d’être ironique plutôt que sensible, et, qu’ayant les qualités d’un vrai conteur français, il ne voit pas pour quelle raison il essaierait laborieusement de s’approprier celles d’un romancier russe ou d’un conteur anglais. Il n’aura pas tout à fait tort. Soyons nous-mêmes d’abord ; et faisons attention que dans l’histoire de toutes les littératures, la perfection de l’art d’écrire se mesure à notre indépendance, pour ne pas dire à notre ignorance des littératures étrangères. Mais quoi ! nous voulons avoir aujourd’hui « l’âme multiple ; » nous ne craignons rien tant que de nous ressembler ; et il nous plaît, pour montrer la souplesse de notre talent, de rivaliser avec des étrangers dont ni l’hérédité littéraire, ni les habitudes d’esprit, ni les horizons intellectuels, ni les sentimens ne sont vraiment les nôtres.

Ce n’est pas mal imaginé, pour quelques-uns de nos écrivains qui joignent à toute sorte de mérites le malheur de ne savoir pas composer. Aucun roman russe n’est composé, peu de romans anglais le sont, et, depuis bien des années, il est vrai que ce défaut nous est devenu moins sensible, mais ce n’est pas une raison pour méconnaître chez ceux qui le possèdent la qualité qui en est le contraire. Quand M. de Maupassant n’aurait pas cru devoir nous dire, dans la préface de Pierre et Jean, le prix qu’il attache à la composition, nous le saurions par ses Nouvelles, sinon par ses Romans, dont le lien nous a paru quelquefois un peu lâche, et la composition, non pas aventureuse, mais enfin moins serrée que nous le voudrions. Cette science ou cet art de la composition, peu de romanciers les possèdent, peu de naturalistes surtout, pas même peut-être M. Zola, dont les romans épiques ou prétendus tels n’ont qu’une unité purement extérieure, presque factice. Mais les nouvelles de M. de Maupassant s’encadrent, pour ainsi dire,