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plus que pour ses victoires, — avec cela très Allemand, plus Allemand que son père le vieux Guillaume, qui est surtout Prussien, plus Allemand que M. de Bismarck lui-même, et parlant le premier de l’unité allemande, du rétablissement de la dignité impériale, quand le chancelier hésite encore. On a dit que ces notes recueillies aujourd’hui, après dix-huit ans, diminuaient M. de Bismarck en montrant, au moment décisif de la résurrection de l’empire, dans l’hiver de 1870 le prince royal résolu, le chancelier résistant, se défendant contre les séductions du succès, manquant de confiance dans son pouvoir. Ce n’est peut-être pas l’impression la plus vraie. Il faut tenir compte des situations et des caractères. Tel qu’il se montre dans son « journal » Frédéric-Guillaume est une sorte d’idéaliste faisant de la politique avec une certaine naïveté de sentiment, rêvant de l’unité allemande à la façon d’un étudiant de Bonn ou d’Iéna. M. de Bismarck est l’homme pratique jugeant les difficultés avec son sens positif, sentant la nécessité de tout ménager, comprenant le danger de violenter les princes du Sud par une précipitation mal calculée et de les rejeter dans l’alliance de l’Autriche, qui était encore la vaincue non réconciliée de Sadowa. Ce n’est pas, autant qu’on le croit, une diminution pour M. de Bismarck. Ces notes de 1870 n’ont qu’une signification : elles dévoilent une fois de plus l’incompatibilité entre ces deux natures, entre le prince et le chancelier, incompatibilité qui a survécu aux événemens, qui aurait fini sans doute par éclater plus vivement si Frédéric III était arrivé à l’empire dans la plénitude de ses facultés et de ses forces.

Il y a une mélancolie des choses qui s’exhale vraiment de ce « journal » de 1870. Oui, sans doute, ce prince, campé à Versailles, se montre dans ses notes épris d’un certain idéal de libéralisme et de justice. Il ne ressemble pas à Frédéric-Charles, qui, selon sa remarque a toujours, « même chez lui, sa cravache à la main. » Il ne cache pas son « horreur personnelle pour la guerre. » Il désavoue tout sentiment de haine à l’égard de la France, et il ne craint pas d’écrire qu’il voudrait réconcilier les deux pays. Son premier mouvement, à la nouvelle de la reddition de Strasbourg, est d’écrire au roi pour lui demander la réparation de la cathédrale et de la bibliothèque. Sa préoccupation est de résoudre les questions sociales dont il sent le danger, de donner à l’Allemagne « une organisation libérale après la paix. » Il écrit, non sans quelque ingénuité : « J’étendrai une main ferme sur toute la nation unie, parce que je serai le premier souverain qui adhère sans réserve aux institutions constitutionnelles. » On dirait vraiment qu’il touche au règne, au moment de faire de ses rêves une réalité. Qu’arrive-t-il cependant ? Pour bien des années encore, il est retenu dans la subordination et le silence vis-à-vis d’une politique qu’il n’approuve pas toujours, et lorsqu’à son tour il arrive à l’empire, il n’est plus temps : il est déjà vaincu par le mal ! C’est à peine s’il peut montrer à Berlin