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avertit, il prévient ; de ses réclamations, nul souci. — « 9 juin : Une nouvelle bataille semble imminente du côté de Lodi, et il serait bien regrettable que nous fussions encore pris au dépourvu, comme à Magenta, pour assurer et régulariser l’assistance et le transport des blessés. » À ces doléances, comment va-t-on répondre ? « 10 juin : Il était onze heures du soir quand nous entrâmes à Melegnano ; le spectacle qui nous y attendait était affreux, surtout à cause de l’impossibilité où nous étions de porter secours aux malheureux blessés ; nos caissons d’ambulance n’arrivèrent le lendemain que vers neuf heures et demie du matin. » — « Turin, 15 juin : Nous sommes débordés par les accidens, et il nous reste beaucoup à faire pour nettoyer nos salles, ouvrir les foyers purulens et prévenir l’atmosphère miasmatique qui a si cruellement décimé nos amputés dans les hôpitaux de Constantinople. » — « 17 juin, Novare : Nous manquons complètement d’instrumens pour les amputations dans l’hôpital le plus militarisé de la ville ; une boite à amputation avait été prêtée par un médecin des environs. » — Après Solferino, « 25 juin : L’évacuation des blessés du champ de bataille a été difficile ou impossible sur plusieurs points, faute de moyens de transport. » — « 5 juillet : Depuis l’ouverture de la campagne, les médecins de régiment se plaignent de n’avoir reçu de la pharmacie centrale aucun des médicamens qu’ils ont demandés. » Quinze cents kilogrammes de charpie sont égarés en route pendant quinze jours, et il ne faut rien de moins que l’intervention personnelle de l’empereur pour les faire retrouver.

On se souvient que, le 17 mai, le baron Larrey a demandé l’envoi immédiat de boites d’instrumens à résection. Le 26 juin, il écrit : « Un certain nombre de plaies compliquées de fractures auraient nécessité des résections de pointes osseuses ; malheureusement, la boite à résection, réclamée depuis longtemps, fait toujours défaut. » Le 12 juillet, le président du conseil de santé répond à cette lettre du médecin en chef : « Le conseil comprend difficilement qu’on n’ait pas mis à votre disposition les bottes à résection qui ont été expédiées sur Gênes dans les premiers jours de juin. » Elles étaient à Gênes, ces malheureuses boîtes, et elles y étaient restées. L’armistice est signé, et l’on va enfin les remettre aux ambulances, qui n’en ont plus que faire, et qui auraient dû les recevoir à l’heure même où l’armée quittait la France. Que d’explications à bien des désastres on peut trouver dans les citations que je viens d’emprunter à des correspondances officielles ! « Trop tard » est un mot que l’on a souvent prononcé dans notre pays.

Si les médecins se lamentent de l’impuissance à laquelle ils sont condamnés, l’intendance est placide ; elle raconte avec sérénité ce