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monticules verts. Il y avait des tours massives, des minarets turcs, des clochers de toutes formes, des palais à colonnades grecques, enfin l’assemblage le plus baroque et le plus pittoresque[1] : de maisons, point. On approchait, et l’on découvrait que les petits monticules verts étaient les maisons, construites en bois et recouvertes de prairies. Il est bon, en pareille matière, de citer ses auteurs. Nous laissons la parole au très véridique Huet, évêque d’Avranches, qui visita Stockholm en 1652. « Les fenêtres, dit-il, sont enchâssées dans le toit, qui lui-même est fait de planches et d’écorces d’une espèce de bouleau qui ne pourrit point, et est recouvert de gazon ; ce dernier mode de couverture était, au témoignage de Virgile, appliqué en Italie aux chaumières des paysans. On sème alors sur ce gazon de l’avoine ou d’autres graines dont les racines le font adhérer fortement au toit. Ainsi, les faites des maisons sont des champs de verdure et de fleurs, et j’y ai vu paître des moutons et des porcs. Les toits, dit-on, sont faits de cette manière, tant pour que les maisons, qui sont formées de matières résineuses, ne s’embrasent pas au contact de la foudre, que pour avoir, en temps de guerre et au cas où on serait assiégé et bloqué par l’ennemi, des pâturages pour nourrir les troupeaux. » Stockholm pouvait se vanter d’être une capitale unique au monde[2].

Il aurait fallu à la Suède un élan vigoureux pour rattraper les états de l’Occident, et le règne de Gustave-Adolphe lui avait interdit pour longtemps les grands efforts pacifiques. Le héros savait bien ce qu’il disait, lorsqu’il assurait ses officiers étonnés que Dieu fait « un coup d’amour envers les peuples quand il ne donne aux rois que des âmes ordinaires. » Il laissa son royaume épuisé d’argent, abîmé par des passages continuels de troupes, écrasé d’impôts, et sa mort ne termina point la guerre. Son confident politique, Oxenstiern, la continua, et le sort des campagnes devint intolérable. Le paysan n’en pouvait plus. Tourmenté par le soldat, tourmenté par le noble, tourmenté par le collecteur d’impôts et ne trouvant ni appui ni pitié chez le tout-puissant chancelier, il se révoltait, gâtait encore plus ses affaires et émigrait de désespoir. Une partie de la Suède était retombée en friche.

Pour gouverner ce peuple simple, on forma une reine nourrie de fine littérature, éprise de poésie, connaisseuse en livres rares et manuscrits. Pour gouverner ce peuple pieux, on forma une reine imprégnée d’antiquité païenne et de philosophie. Pour gouverner ce

  1. Ch. Ponsonailhe, Sébastien Bourdon.
  2. Un savant islandais qui écrivait au XVIIe siècle, Jonas Arngrim, fait une description toute semblable des maisons de son pays. (Répub. Island., cap. VI.)