Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/813

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Noé sur les faiblesses de sa néophyte et feint de croire à la sincérité de ses convictions. Il se fiait aux années, à l’habitude, à mille circonstances qu’il se chargeait de faire naître, pour achever l’œuvre ébauchée, et il obtint en effet, avec le temps, un langage auquel on ne pourrait reprocher que d’être hyperbolique dans ses glorifications de l’église et de la foi catholique[1]. Ce que Christine pensait au fond était chose secondaire, et il semble bien que le pape l’ait compris ainsi.

On conçoit également que les protestans irrités aient accusé Christine d’hypocrisie, plutôt que d’admettre la sincérité de sa conversion. Ils publièrent partout que, loin d’avoir été attirée dès sa première jeunesse par la religion romaine, ainsi que le prétendaient les catholiques, et d’avoir déposé la couronne pour être libre d’aller où la grâce l’appelait, Christine ne croyait à rien et n’avait abjuré que par calcul. A les entendre, la pompe d’Inspruck n’avait d’autre but que d’intéresser le pape et les rois catholiques à la reine de Suède, afin d’en tirer de l’argent aux heures de gêne.

A présent qu’on en juge sans passion, il faut convenir que les apparences donnent raison aux protestans. Christine changea de religion de l’air dont elle changeait d’habit, pour ébahir la foule. Après l’abjuration secrète de Bruxelles, elle écrivit en Suède, où l’on avait depuis longtemps des soupçons : « Mes occupations sont de bien manger et de bien dormir, étudier un peu, causer, rire et voir les Comédies française, italienne et espagnole, et passer le temps agréablement. Enfin, je n’écoute plus des sermons… » Elle déclare ailleurs qu’elle s’est convertie pour ne plus entendre les pasteurs, qui l’ennuyaient trop. Les sermons étaient sa grosse objection théologique à la religion réformée. A Inspruck, on remarqua son indifférence pendant la cérémonie de l’abjuration. Le même jour, dans l’après-midi, on lui offrit la comédie. On prétend qu’elle s’écria : « — Messieurs, il est bien juste que vous me donniez la comédie, après vous avoir donné la farce. » Le pape fut, sans aucun doute, très bien renseigné sur le prix de sa conquête au point de vue spirituel, mais il ne s’occupait pour l’instant que du point de vue terrestre. Au sortir d’Inspruck, Christine se dirigea vers Rome, où on lui préparait une entrée triomphale.

On voulait marquer par une réception éclatante que sa conversion était un grand événement politique et religieux. La Congrégation des rites régla jusqu’aux derniers détails de la fête. Elle arrêta que les carrosses des cardinaux, prélats, ambassadeurs, nobles romains, iraient au-devant de la reine de Suède, attelés de

  1. Surtout dans les Maximes.