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elle parla sur beaucoup de matières ; et ce qu’elle dit, elle le dit assez agréablement. Il lui prenait des rêveries profondes, elle faisait de grands soupirs, puis tout d’un coup elle revenait comme une personne qui s’éveille en sursaut : elle est tout à fait extraordinaire. »

Christine confia à Mademoiselle de Montpensier qu’elle mourait d’envie d’être à une bataille, et « qu’elle ne serait pas contente que cela ne lui fût arrivé. » C’était une de ses marottes. Elle enviait les lauriers du prince de Condé et rêvait aux moyens d’être général d’armée.

Le 8 septembre 1656, elle fit son entrée dans Paris par le faubourg Saint-Antoine, escortée de plus de mille cavaliers. Elle portait un justaucorps d’écarlate, une jupe de femme, un chapeau à plumes, et elle était montée en homme sur un grand cheval blanc, des pistolets à l’arçon de sa selle et une canne à la main. La bourgeoisie avait pris les armes pour la recevoir, et le peuple formait autour d’elle une « presse furieuse, » qui se renouvela chaque fois qu’elle sortit dans Paris. On la mena communier à Notre-Dame, où elle parla et remua tout le temps de la messe. Elle visita les monumens et les bibliothèques, reçut les savans et fit admirer sa connaissance des choses de la France. Elle savait le détail des familles et leurs armes, les intrigues et les galanteries de la cour et de la ville, les goûts, les travaux, les occupations de chacun. Elle partit enfin pour joindre la cour à Compiègne. Anne d’Autriche vint au-devant d’elle. Mme de Motteville, qui accompagnait la reine mère, nous a laissé le récit de la rencontre.

Christine descendit de carrosse au milieu d’une bousculade de curieux, qui obligea les deux reines à s’écarter. Louis XIV donna la main à l’étrangère et la mena dans une maison. Mme de Motteville les suivait, sans pouvoir détacher ses yeux de l’étrange figure conduite par le roi de France. « Les cheveux de sa perruque, écrit-elle, étaient ce jour-là défrisés : le vent, en descendant de carrosse, les enleva ; et comme le peu de soin qu’elle avait de son teint lui en faisait perdre la blancheur, elle me parut d’abord comme une Égyptienne dévergondée qui, par hasard, ne serait pas trop brune. En regardant cette princesse, tout ce qui dans cet instant remplit mes yeux me parut extraordinairement étrange, et plus capable d’effrayer que de plaire. » Mme de Motteville dépeint l’étrange attirail de la reine de Suède, habillée de travers, sa grosse épaule sortant « tout d’un côté, » sa jupe trop courte découvrant ses souliers d’homme, et elle ajoute : « Après l’avoir regardée avec cette application que la curiosité inspire en de telles occasions, je commençai à m’accoutumer à son habit et à sa coiffure, à son