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C’était trop d’à-propos, le lendemain de la mort de Monaldeschi. Tous les yeux regardèrent Christine, qui rougit, perdit contenance et se força à rire, d’un rire contraint. Presque aussitôt, elle fit une révérence à la compagnie et s’en alla, reconduite avec force saluts par « monseigneur le chancelier » et tous les académiciens. Ce furent les adieux de Paris à Christine. Elle se remit en route le lendemain, avec de l’argent donné par Mazarin, et retourna à Rome faire enrager le pape.


VIII

C’en est fait de la brillante Christine. Il lui restait plus de trente ans à vivre, et ce long espace fut une longue chute. Elle gardait la passion d’étonner le monde, et elle avait lassé l’étonnement. Elle s’obstina à le réveiller, et se rendit insupportable. Le monde n’est pas tendre aux vieilles héroïnes. On commençait à traiter la reine de Suède de « pelée, » à murmurer les noms d’aventurière et d’intrigante. On se demandait pour quels services Mazarin lui avait donné 200,000 livres, et l’on se défiait d’une reins qui touchait de pareils courtages. On s’intéressait de moins en moins à cette cigale, pour qui la bise était venue et qui frappait aux portes sans vergogne. Elle était toujours crainte, parce qu’elle était habile et sans scrupule ; elle n’était plus estimée, et c’était justice. A son retour de France, elle commit une action plus criminelle encore, et plus basse, que le meurtre de Monaldeschi. Elle n’eut pas honte, — elle l’ancienne souveraine de la Suède, elle qui n’avait jamais trouvé chez son peuple que dévouement et bonté, elle qui avait déserté son poste pour aller courir les grandes routes, — elle n’eut pas honte d’envoyer Sentinelli à l’empereur d’Allemagne, avec le message que voici : « Que puisque Charles-Gustave, roi de Suède, ne lui payait pas la pension stipulée de 200,000 écus par an, et la laissait manquer de l’argent nécessaire : Elle priait l’empereur de lui vouloir prêter 20,000 hommes sous la conduite du général Montecuculli, moyennant quoi elle espérait de conquérir la Poméranie (suédoise), où elle avait nombre de partisans. Elle s’en réservait les revenus sa vie durant, et, après sa mort, la Poméranie retournerait à l’empire. » Ainsi, elle offrait de faire la guerre à sa patrie, et de la démembrer, pour une question d’argent, parce que la Suède, qu’elle avait contribué à ruiner, ne la payait pas exactement ! C’est d’une créature qui n’avait rien de royal dans l’âme. Elle appartenait à ce qu’elle-même appelait la « canaille de rois. »