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pourraient en connaître personnellement la dixième partie ; d’autant plus que les directeurs se succèdent maintenant dans les divers services avec presque autant de rapidité que les secrétaires d’état dans les ministères. L’autorité effective passe alors aux mains de commis subalternes. Ce pays qui se croit libre, et que l’on regarde en Europe comme factieux, est gouverné par des chefs de bureaux, tel qu’un libertin vieilli mené à huis-clos par une servante-maîtresse.

Le parlement mérite des reproches analogues ; la jalousie qu’il a de ses droits l’a poussé à se charger de mille soins qui ne le regardaient pas : travaux publics départementaux, instruction primaire uniformisée, etc. Absolue et sans contre-poids, la majorité d’état n’a pas su se contenir elle-même ; elle n’a su ni borner son pouvoir législatif aux seules lois qui intéressent vraiment l’état, ni créer à côté d’elle un pouvoir exécutif doué d’une vie propre, analogue à celle du pouvoir judiciaire. Mais une assemblée souveraine qui ne voit pas de bornes à sa puissance finit par ne pas en mettre à sa sottise ; sous prétexte que la loi c’est elle-même, elle ne se contente plus de la faire, elle veut encore la violer. Si le régime parlementaire est aujourd’hui fort battu en brèche dans les journaux, et, ce qui est plus grave, dans le for intérieur de beaucoup de consciences d’électeurs, cela tient à l’abus que le parlement en a fait lui-même. Le meilleur moyen de mettre un terme à cet abus, c’est une réforme radicale du pouvoir social, une organisation mieux entendue de la souveraineté du nombre, qui garantira davantage la liberté des particuliers.

Cette réforme n’a rien qui doive effrayer tout esprit sage, auquel la force de l’habitude ne fait pas prendre une absurdité ancienne pour une institution respectable. Qu’on songe à l’état de la France en 1788, qu’on suppose un publiciste proposant dans un article de journal, ou un orateur développant à l’assemblée des notables le plan de l’administration qui devait être établie deux ans plus tard, et l’on imaginera sans peine par quelles protestations il eût été accueilli : changer l’assiette de l’impôt, supprimer les fermiers-généraux, la vénalité des offices civils et militaires, eût paru insensé à bien des gens. Il n’est pas jusqu’aux « jurés-essayeurs d’eau-de-vie, » ou « langueyeurs de porcs. » qui n’eussent trouvé des défenseurs implacables. Nous avons aujourd’hui encore, sous d’autres noms, beaucoup de « langueyeurs de porcs » parmi nous, seulement ils ne nous choquent pas, parce que nous les coudoyons tous les jours ; c’est à les faire disparaître qu’il convient de nous appliquer.

Le moment ne paraît pas mal choisi, puisque nous voyons, soumises aux chambres, plusieurs propositions de loi émanant, soit du gouvernement, soit de l’initiative parlementaire qui ont pour objet