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avec M. Wundt le pouvoir de l’hérédité, ou de l’exagérer avec MM. Spencer, Darwin et Maudsley.

Quant au rêve d’une moralité entièrement automatique et inconsciente, c’est une exagération encore plus inadmissible. M. Guyau a montré qu’une telle transformation de la moralité est contraire à la vraie loi de l’évolution. Elle impliquerait des cerveaux si parfaitement organisés par l’hérédité que la réflexion et l’effort ne seraient plus nécessaires pour adapter le passé à l’avenir ; or, un tel résultat suppose l’automate moral placé désormais dans un milieu éternellement identique, c’est-à-dire le monde arrêté en son évolution. » Un tel arrêt n’est ni admissible scientifiquement, ni pratiquement désirable : il n’offre aucun des caractères de « l’idéal » futur. L’idéal de l’homme n’est pas « l’adaptation une fois pour toutes au milieu, » adaptation dont l’achèvement aboutirait en effet à l’automatisme et à l’inconscience ; c’est une facilité croissante à se réadapter aux changemens du milieu, une flexibilité qui n’est autre chose qu’une intelligence et une réflexion toujours plus parfaites. L’avenir inconnu sera toujours « préfiguré pour l’homme par des idées, » jamais par des réflexes tout automatiques. Il est d’ailleurs superficiel de croire que la science tende à l’automatisme parce qu’elle se sert de la mémoire pour y emmagasiner et y organiser les faits acquis : « La science aurait ainsi pour idéal la routine, conséquemment son contraire même. » On oublie que la science n’a pas seulement pour objet le savoir acquis, mais la manière d’employer ce savoir pour connaître toujours davantage. Et ce ne sont pas les objets à connaître qui manqueront jamais ; car, selon M. Spencer lui-même, la sphère du savoir, en s’accroissant, ne fait qu’augmenter ses points de contact avec l’inconnu. Ce qui sauvera la science, c’est ce qui l’a constituée et la constituera encore dans l’avenir, la curiosité éternelle. Sans doute, « la science tendra à se servir toujours davantage de l’habitude et de l’acte réflexe, à élargir ses bases dans l’inconscient, comme on élargit toujours les fondations d’un haut édifice ; mais on peut affirmer qu’elle sera la conscience toujours plus lumineuse du genre humain, que le savoir pratique et le pouvoir pratique de l’homme auront toujours pour mesure non son fonctionnement automatique, mais sa puissance de réflexion intérieure. » Le vrai « siècle de la raison et des lumières, » de l’aufklärung, n’est donc pas dans le passé ni dans le présent, il est dans l’avenir : nous ne marchons pas vers l’âge du pur instinct, de l’automatisme et de l’inconscience ; nous marchons vers l’âge de la claire conscience.

S’il en est ainsi, ne se produira-t-il point une antinomie entre l’instinct moral et cette conscience de plus en plus réfléchie vers laquelle s’avance l’humanité ? C’est là, on s’en souvient, la seconde