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souvent et ne veut pas admettre que Louis-Napoléon ait à cœur de consolider sa puissance par une attitude pacifique. » — « Tout le monde, écrivait-il à nouveau, quelques jours après, est fermement convaincu que Louis-Napoléon tentera, sous peu, une démonstration contre l’Angleterre. Les appréhensions sont universelles ; je l’entends dire de tous côtés, par lord Brougham et ses amis, par les gens les plus autorisés à se croire bons prophètes. Cette terreur générale est fondée sur un pressentiment, car personne ne peut donner des motifs sérieux aux intentions secrètes prêtées au prince. Je suis le seul à n’y pas croire, et voici mes argumens. Il n’a aucune antipathie naturelle contre les Anglais ; depuis que je le connais, il a toujours aimé leur société et a adopté leurs usages. Il m’a toujours dit que la grande faute de son oncle avait été son inimitié contre l’Angleterre. Je ne l’ai jamais surpris à songer à une revanche de Sainte-Hélène. Depuis qu’il est au pouvoir, il n’a pas cessé de nous montrer des sentimens amicaux. Si un consul nous est hostile, il le blâme ; si nous avons besoin de son assistance en Égypte et à Cuba, il nous la donne ; il évite tout sujet de discussion. De même pour les tarifs de douane ; si Disraeli était prêt, nous pourrions presque avoir le libre échange avec la France. »

Cependant lord Malmesbury, tout en se portant garant, en quelque sorte, des bons sentimens du prince pour l’Angleterre, n’allait pas jusqu’à croire qu’il était dégagé de toute arrière-pensée ambitieuse. « Il nourrit certainement, disait-il, le projet d’une nouvelle distribution territoriale de l’Europe, et il est essentiel de lui donner à entendre, avec toute la courtoisie possible, que les grandes puissances regardent les arrangemens de 1815 comme définitifs. » Le ministre anglais exposait ses appréhensions à notre envoyé en termes modérés, sympathiques ; il reproduisait familièrement, sans avoir l’air de se les approprier, les argumens qui couraient les chancelleries, et que parfois on nous opposait d’un ton protecteur.

Le comte Walewski ne se laissait pas émouvoir ; il le prenait même de haut lorsqu’il le jugeait nécessaire. Il avait l’orgueil de ses origines ; bien qu’irrégulières, elles n’étaient pas de celles qu’on répudie. Il avait aussi de ses fonctions une haute idée : il se préoccupait moins de la conservation de son poste que de la dignité de son pays. Sa parole était écoutée, parce qu’on la savait autorisée et qu’on la tenait pour sincère ; au dire de lord Clarendon, jamais on ne l’avait surpris altérant la vérité. C’était bien le diplomate qu’il fallait pour impressionner les ministres anglais, les détacher des cours du Nord et assurer à l’empereur le premier et le plus important succès de son règne. — Notre envoyé connaissait bien son terrain ; il savait que l’Angleterre avait la terreur de la guerre,