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point délicat, réservé la liberté de leurs déterminations, mais leurs ministres à Paris avaient ordre d’agir de concert et de ne présenter leurs lettres de créance qu’avec la certitude que celles de l’envoyé russe ne seraient pas refusées. C’était une concession à l’empereur Nicolas, qui persistait à ne pas vouloir appeler Napoléon III « mon frère. » Tout allait donc dépendre de l’accueil qui serait fait à M. de Kisselef, et aussi de la fidélité de la Prusse et de l’Autriche à leurs engagemens avec le cabinet de Pétersbourg. « Nous ferons les choses complètement, nous disait le ministre prussien ; nous mettrons le mot « frère » dans les lettres du comte de Hatzfeld. » Il nous laissait même entendre que, si les lettres de l’empereur Nicolas étaient refusées, la Prusse, au besoin, passerait outre. Il prétendait, néanmoins, que la chose n’irait pas toute seule, qu’il aurait à combattre les déclamations et les représentations passionnées des entours du roi ; pour justifier les hésitations de sa cour, il allait jusqu’à insinuer que les Russes, après avoir réussi à brouiller l’Autriche avec la France, faisaient des efforts désespérés pour compromettre également la Prusse.

Ces assertions étaient peu fondées, car le général de Castelbajac écrivait à M. Thouvenel : « Malgré toutes les assurances de Hatzfeld et de Hübner, soyez sûr que les bonnes dispositions de la Prusse et de l’Autriche ne sont que le résultat de la peur. Je ne dis pas qu’elles n’aient pas trouvé à Pétersbourg un bon terrain, mais l’initiative des protestations est venue d’elles. M. de Nesselrode a résisté jusqu’au dernier moment à leurs instances ; il n’a été ardent et constamment contraire que pour le chiffre III, et cela s’explique par la faiblesse qu’ont les hommes, en général, pour leurs œuvres ; le chancelier, il ne faut pas l’oublier, est le seul diplomate encore debout de tous ceux qui ont pris part au congrès de Vienne. »

Le comte de Nesselrode, du reste, semblait pressentir que le cabinet autrichien et celui de Berlin, à la dernière heure, lui fausseraient compagnie, car, aussitôt les lettres de M. de Kisselef expédiées, il tendait la main au général de Castelbajac et le relevait de sa quarantaine. Il lui écrivait un billet charmant pour lui demander des nouvelles de sa santé et pour l’informer qu’il était sur pied, prêt à le recevoir. « J’apprends avec infiniment de satisfaction votre rétablissement, répondait le général, et je suis heureux de vous apprendre que je suis moi-même suffisamment rétabli pour aller vous voir. »

Le 28 décembre, le roi Frédéric-Guillaume signait les lettres de M. de Hatzfeld ; elles étaient, contrairement à l’attente du cabinet de Pétersbourg, rédigées dans la forme accoutumée. Celles de la