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avec Lysandre, le général ennemi ; c’est lui qui, après la paix, reçut du vainqueur la mission de gouverner Athènes. Son rôle dans ces tristes circonstances fut odieux ; mais un régime qui suscite contre lui d’aussi vives animosités n’est pas non plus à l’abri de tout reproche.

La démocratie fut bientôt restaurée, sans devenir beaucoup plus sage, surtout en matière d’impôts. Elle ne fut plus menacée dans la suite ; mais un vice nouveau se glissa dans l’état. Sauf de très rares exceptions, les Athéniens semblèrent désormais se replier sur eux-mêmes, et renoncer à prendre aucune initiative hardie au dehors. Ils eurent une politique timide, hésitante, et l’on sait combien il fut difficile à Démosthène de secouer leur apathie. On aurait tort de rattacher ce changement à une cause unique ; il s’explique toutefois, en grande partie, par leur répugnance à payer de leur personne et de leur bourse. « Jadis, disait l’orateur, vous avez défendu contre Lacédémone les intérêts du monde hellénique ; vous étiez empressés alors à acquitter l’eisphora et à vous enrôler, tandis qu’aujourd’hui, quand vos intérêts propres sont en jeu, vous reculez devant tout sacrifice pécuniaire, et vous hésitez à partir en campagne. » Ces paroles, qu’il répète plus d’une fois, nous livrent le secret de leur mollesse. Toute action énergique à l’extérieur entraînait des dépenses qui ne pouvaient être couvertes que par des saignées faites au capital de chacun, et les Athéniens, pour préserver leur fortune contre tout appel de fonds, évitaient les occasions de dépenses. Il ne fallait rien moins que l’imminence d’une catastrophe pour les y décider ; car, dans ce cas, on n’avait que le choix entre la perte totale et une diminution partielle des biens. En temps ordinaire, on se rangeait, par économie, aux principes de l’école de Manchester. On se confinait alors dans une espèce de recueillement où l’on ne songeait guère à réparer ses forces ; on s’abandonnait au far-niente des peuples en décadence ; on rétrécissait de plus en plus son horizon ; on obéissait aux suggestions égoïstes d’une politique à courtes vues qui s’interdisait d’interroger l’avenir, et tout cela venait, dans une large mesure, des défauts de l’organisation financière. L’impôt sur le capital, créé au cours même des hostilités contre Sparte, avait incliné les riches vers la paix et les avait poussés à l’insurrection. Au IVe siècle, il ne compromettait pas la tranquillité intérieure ; mais, en rendant plus sensibles aux contribuables les charges militaires, il inspira aux Athéniens une telle horreur de la guerre, qu’ils ne se risquèrent à combattre Philippe de Macédoine qu’au moment où il était trop tard pour triompher de lui.


PAUL GUIRAUD.