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mesure aussi maladroite qu’inopportune, surtout à la veille de l’exposition.

Veut-on un autre exemple de cette incohérence que l’esprit radical porte dans le gouvernernent ? Il est d’une autre nature et n’est pas moins curieux. L’autre jour, M. le garde des sceaux est allé devant la commission du budget avec l’intention très avouable de défendre des crédits affectés à des évêchés qu’on veut supprimer, sous prétexte qu’ils ne sont pas concordataires. Rien de mieux assurément ; mais sait-on quelle raison a invoquée M. le garde des sceaux Ferrouillat ? Il a prétendu qu’en supprimant des évêchés parce qu’ils n’étaient pas concordataires, on allait rajeunir le concordat lui-même et lui donner une force nouvelle, lorsqu’on voulait arriver à l’abroger, en préparant la séparation de l’église et de l’état ! De sorte que voilà un garde des sceaux ministre des cultes qui enseigne comment il faut procéder pour arriver à la destruction lente mais sûre du concordat. Il travaille à la paix religieuse, comme M. Floquet travaille à la paix politique par la révision, — et M. le ministre des affaires étrangères avait décidément raison de se plaindre l’autre jour qu’on lui rendît la position bien difficile en faisant à la France une sécurité si douteuse et un avenir si incertain.

On n’en est pas pour l’instant, sans doute, en Europe, aux grands événemens, aux menaces de crises immédiates ou de conflits prochains : c’est une perspective qu’on s’étudie à éloigner autant que possible. On en est toujours du moins aux incidens prévus ou imprévus, aux excitations et aux suspicions dans les rapports des peuples, aux faux bruits nés de l’incertitude universelle, aux commentaires de ces entrevues et de ces voyages impériaux qui sont plus que jamais la grande affaire du moment ; on en est aussi à ces révélations qui ont pris depuis quelque temps une si singulière importance, et une des plus curieuses de ces révélations est encore sûrement cette publication du « journal » intime de Frédéric III dont M. de Bismarck s’est si violemment ému. Le chancelier ne s’est pas borné à frapper d’un véritable interdit le « journal » du prince qui a été son souverain ; il a fait arrêter le docteur Geffcken, soupçonné d’être l’auteur de la divulgation indiscrète ; il s’est chargé de préparer lui-même, et contre le divulgateur et contre la mémoire de Frédéric III, l’acte d’accusation auquel l’empereur Guillaume II a donné sa sanction avant d’entreprendre ses nouveaux voyages à Stuttgart et à Munich, à Vienne et à Rome. Quelle que soit l’issue de l’affaire qui commence, il est certain, dans tous les cas, que ce rapport écrit avec une implacable âpreté par le chancelier est un des plus bizarres spécimens de littérature accusatrice. M. de Bismarck, on le sent, est arrivé à un tel degré d’omnipotence, qu’il n’éprouve plus le besoin de se gêner, qu’il dit les choses les plus extraordinaires avec une sorte de naïveté audacieuse, mettant en cause sans plus de façon