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piquée, rien qui puisse rappeler, sur ces têtes de princesses, le chignon si connu des Japonaises ordinaires. Elles font, avec leurs cheveux gommés, quelque chose qui ressemble à un très plat et très large bonnet de sphinx égyptien en laque noire, et qui se termine derrière par un long catogan, par une queue à la chinoise...

Elle est tout près, l’impératrice ; elle va passer... Tous ses invités s’inclinent profondément sur sa route ; les seigneurs japonais sont cassés en deux, dans leurs habits noirs, les mains à plat sur les genoux, la tête penchée vers la terre ; les Européens sont courbés en salut de cour... La grande ombrelle violette, délicieusement brodée de chrysanthèmes en relief, s’est soulevée et je l’ai aperçue... Son petit visage peint m’a glacé et charmé.

Elle passe devant moi, à me frôler, me jetant sur la poitrine son ombre, que j’aurais aimé conserver comme une chose très rare. Je l’ai bien regardée, et elle est du tout petit nombre des femmes auxquelles convient, dans son acception la plus raffinée, l’épithète exquise.

Exquise et étrange, avec son air de froide déesse qui regarde au-delà, qui regarde en dedans, qui regarde on ne sait où ; exquise avec ses yeux à peine ouverts, tout en longueur comme deux obliques lignes noires et très distans de ces deux autres lignes plus minces qui sont ses sourcils. Un sourire inexpressif de morte entr’ouvre ses lèvres carminées sur ses dents blanches. Son petit nez transparent est à demi courbé en bec d’aigle, et son menton s’avance, impérieux et dur.

Son costume ne se distingue pas de celui des dames de sa suite; les ailes de sa coiffure sont peut-être plus larges encore et son catogan plus long, parce que ses cheveux sont plus beaux; mais seules, les couleurs de son ombrelle et les taches de son camail indiquent, pour qui connaît le blason japonais, qu’elle est la souveraine.

Et cependant, même sans cela, je l’aurais reconnue entre toutes, à un charme dominateur que les autres n’ont pas.

Elle est de petite taille ; elle marche d’une façon rythmée, dans la religieuse roideur de ces vêtemens qui ne laissent rien deviner de sa forme délicate ; la main que l’on aperçoit, celle qui tient l’ombrelle violette, est comme une main d’enfant; l’autre est cachée sous la rigide manche pagode, si longue, presque traînante. Dans nos pays, avec nos notions sur les apparences des âges, on lui donnerait de vingt-cinq à vingt-huit ans.

Au premier rang à côté d’elle, en un costume à peu près pareil, passe « mademoiselle Nihéma » l’interprète ; celle qui une fois, à certain bal où j’avais invité à danser une princesse qui ne comprenait pas, m’avait répondu à sa place, dans un français bizarrement