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grave. Par contraste, elle a l’expression très vivante, celle-ci ; elle roule de droite et de gauche, sur les invités, ses yeux intelligens et vifs, — Tandis que l’impératrice garde son sourire figé et s’avance impassible, saluant légèrement de la tête tous ces gens courbés qu’elle semble à peine voir.

Parmi ces femmes qui suivent en silence, dans un tel éclat de soieries, il y a de bien extraordinaires figures ; quelques laideurs extrêmes, mais jamais déplaisantes ni banales, distinguées toujours. Toutes sont blanches et roses, grâce à d’épaisses couches de poudre nuancées habilement ; mais on devine que là-dessous leur peau doit être fine et jolie. Comme, du reste, elles sont de caste noble, leur teint naturel doit différer assez peu du nôtre...

C’est très vite passé, ce petit cortège, malgré la lenteur de la marche. Je ne vois déjà plus que les dos magnifiquement mouchetés des dames et leurs longs catogans noirs, qui s’éloignent, — au son d’une musique toujours plaintive et inconnue, jouée par les orchestres cachés.

Elles vont, disent les initiés du palais, faire le tour des plates-bandes de chrysanthèmes, par l’allée extérieure tapissée de nattes à leur intention. Alors, pour les revoir de près une seconde fois, je coupe à travers les massifs fleuris, par un petit sentier de jardinage, et m’en vais les attendre là-bas, du côté opposé.

A l’autre angle du parterre, l’impératrice passe encore près de moi, de sa même allure cadencée, posant tranquillement l’une après l’autre sur les nattes blanches ses petites mules rouges. — Son sourire s’est accentué, mais sans s’adresser davantage à personne. Demi-déesse, elle sourit sans doute à l’ensemble des êtres et des choses, à la belle journée qu’il fait, aux belles fleurs qui, pendant l’automne, s’épanouissent sur la terre... Et les mêmes petites fées silencieuses la suivent, souriant aussi dans le vague...


Il y a là, un peu plus loin, dans la direction qu’elles ont prise, un très vaste kiosque, qui est drapé, comme les autres, de crépons violets aux armes impériales et que soutiennent de gros piliers, garnis de chrysanthèmes naturels piqués dans de la mousse. Il paraît que nous devons y entrer avec elles.

Une table d’une quarantaine de couverts y est dressée, sous les soies retombantes ; elle est servie à l’européenne, chargée d’argenterie, de coupes à champagne, de pâtés de gibier, de pièces montées, de sorbets, de fruits et de fleurs. L’impératrice y prend place, au bout, sur un siège haut drapé de lampas rouge, les princesses autour d’elles, et nous ensuite, les invités, au hasard des chaises que les valets nous présentent. Alors l’orchestre cesse de gémir sa marche lente et entonne une mélodie italienne qui nous fait reprendre