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provisoire de sûreté. » On ne pouvait, en effet, les accepter comme matériel définitif. Leur introduction dans nos équipages de campagne nous mettait sur le pied d’égalité avec l’Allemagne, tandis qu’il s’agissait d’acquérir sur elle une supériorité certaine. Ou plutôt, il fallait prévoir que les vainqueurs emploieraient une partie de notre rançon à améliorer leur artillerie, et que, par suite, l’équilibre, — à supposer qu’il existât, — serait rompu en leur faveur. Il était donc sage de courir au plus pressé, de construire, le moins coûteusement possible, un matériel en qui on pût avoir confiance, si la guerre venait à renaître de ses cendres, et grâce auquel on trouvât la sécurité indispensable pour poursuivre posément les recherches théoriques et les études expérimentales qui doivent nécessairement précéder le choix d’un système nouveau d’artillerie.

Celui qu’on créa de la sorte et qu’on admit définitivement en 1877 est dû à M. de Bange, qui était alors chef d’escadron, et qui, depuis, a quitté l’armée pour prendre la direction des établissemens Cail. Ses canons de 80 et de 90 arment encore aujourd’hui nos batteries, et ils n’ont subi depuis leur adoption que d’insignifiantes modifications. Un moment pourtant, il fut question d’introduire dans la construction de leur mécanisme de culasse un dispositif de sûreté qui empêchât les inflammations prématurées de l’étoupille. C’est au sujet de cet appareil que le général Boulanger fit ses débuts à la chambre. On se rappelle les circonstances dans lesquelles il est descendu de la tribune ; on a peut-être oublié ce qui l’y avait fait monter la première fois. A la séance du 16 janvier 1886, interpellé par l’honorable M. Lejeune sur des accidens qui avaient eu lieu aux grandes manœuvres et aux écoles à feu, et qui avaient entraîné morts d’hommes, le ministre de la guerre répondit par la déclaration suivante, qui fut fort applaudie : « Aujourd’hui, après de très sérieuses études, on a adopté un petit taquet qui ne coûte presque rien et qui, — j’ai l’honneur d’appeler votre attention sur ce point, — empêche absolument la pièce de faire feu si elle n’est pas totalement fermée. Ce taquet revient à 7 ou 8 francs, ce qui, pour nos 2,000 pièces de campagne, représente une dépense de 15,000 à 16,000 francs. Je puis vous promettre, messieurs, que, d’ici à très peu de temps, toutes nos pièces seront pourvues de ce taquet. » Est-il besoin d’ajouter qu’aucune étude sérieuse n’avait été faite, qu’aucun taquet n’avait été adopté, que même au moment de la chute du ministre, quinze mois après les engagemens formels qu’il avait pris et qu’on vient de dire, les pièces n’en étaient pas pourvues, qu’enfin le modèle du fameux « taquet, » — qui d’ailleurs n’est pas un taquet, — est encore à l’essai à l’heure qu’il est ? Au surplus, nous aurons occasion de reparler des accidens qui se sont produits en 1885 et de montrer qu’ils sont imputables à une précipitation