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pendant assez longtemps postés près d’une maison. Nous formions un groupe de 10 à 12 cavaliers. Au-dessus de nos têtes, des balles venaient s’aplatir contre le mur ; elles provenaient d’une patrouille de 3 hommes, flanquant une colonne en marche, et elles partaient d’un bouquet d’arbres. Nous fûmes tous surpris de la grande portée du fusil danois, car, après nous être longuement consultés, nous étions tombés d’accord qu’il y avait 800 pas de la maison au bouquet d’arbres. Quand l’ennemi eut été délogé de son couvert, nous fîmes mesurer la distance : elle se trouva être de 250 pas ! L’ennemi, de son côté, avait dû se tromper dans le même sens que nous, puisqu’il avait constamment tiré trop haut...

A la guerre, le terrain joue des tours vraiment comiques aux commandans de batterie. Qu’il se trouve, sans que de la batterie on la voie, une légère dépression de terrain en avant du but, si l’obus y éclate, sa fumée s’élève en se dissipant, laissant transparaître le but avec une netteté si grande qu’on s’imagine qu’il est en avant de la fumée et que, par conséquent, le tir est trop long... J’ai assisté à une école à feu, où un des professeurs les plus expérimentés de l’école de tir avait ainsi réglé sa hausse de 500 pas trop court, et il continuais, croyant être juste au but. Dans une bataille, j’étais posté à côté d’une ligne d’artillerie considérable. Pendant des heures, elle tira trop court. C’est seulement à la fin que je m’en aperçus et que je l’en avertis.


Un autre artilleur distingué de cette époque, le général de Dresky, avoue avoir commis des erreurs d’observation aussi considérables, bien qu’il s’aidât d’une longue-vue. A la bataille du 18 août 1870, il ouvrit le feu sur quatre de nos batteries, établies en avant de Montigny-la-Grange, et qui lui semblaient placées derrière des embrasures ouvertes dans le mur d’un jardin : « On ne voyait que l’éclair des décharges : nul doute que celles-ci ne sortissent des meurtrières ; aussi fut-ce elles que nous visâmes. Deux jours après, visitant ce point, nous dûmes constater que les batteries étaient en avant de la muraille et non derrière ; on le reconnaissait à la présence de cadavres d’artilleurs et de chevaux, à l’amoncellement des débris. Et en même temps nous vîmes qu’il n’y avait pas la moindre ouverture dans le mur ; c’étaient simplement des branches dépassant le faîte que nous avions prises pour des embrasures. Et nous n’en étions pourtant qu’à 2 kilomètres 500 ! »

Si on est menacé de pareilles illusions d’optique, quelles ne doivent pas être les difficultés du réglage du tir! Et à la fois on est tenté de rechercher un moyen de mesurer la distance où on se trouve du but et induit à penser que cette recherche est impraticable.