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de continuité dans les allures, et, si on peut dire, de rapidité dans la lenteur.

En même temps que nos officiers font leurs preuves, les chevaux montrent une résistance à la fatigue et une vigueur qu’on ne leur soupçonnait peut-être pas. On méconnaissait la valeur de nos bonnes races, ou plutôt certains erremens fâcheux avaient jeté sur elles une défaveur qui, maintenant, à la suite des épreuves faites, tend à disparaître. Mais le mode de conduite des attelages reste défectueux ; on a de moins en moins l’occasion, en France, de s’exercer à l’art ou au métier de postillon, qui est justement celui des canonniers-conducteurs de l’artillerie. Les principes en étaient tellement oubliés ou ignorés, que le capitaine Littre a fait sensation en les formulant. Son remarquable travail les a remis en honneur ; presque tous les instructeurs s’inspirent des règles rationnelles qu’il a données, et nul doute qu’on arriverait à en tirer bon parti si les conditions de l’enseignement équestre dans les corps de troupe n’étaient pas si difficiles.

Et puis, on est retenu par une considération dont l’influence se fait sentir aussi dans l’infanterie d’une façon fâcheuse. On ne s’y met pas assez en peine d’apprendre la marche aux fantassins, parce qu’on trouve inutile de former un petit noyau d’excellens marcheurs destinés à être noyés dans une masse de réservistes qui, pour la plupart, seront incapables de fournir une longue étape sac au dos. Et il serait paradoxal de prétendre que l’exemple ou les conseils des expérimentés puissent être d’un bon effet sur les autres et les entraîner. Tout de même, à quoi bon quinze attelages en condition et bien conduits, si la mobilisation porte leur nombre à plus de soixante? l’effectif de paix est le quart de l’effectif de guerre. Les conducteurs qui proviennent de la réserve ne paralyseront-ils pas, par leur maladresse, tout ce que ceux de l’armée active auront pu acquérir d’habileté et d’expérience professionnelles? Et surtout peut-on compter sur les quarante-cinq attelages neufs qu’on formera au dernier moment ? l’expérience de mobilisation faite par le 16e corps, en 1887, n’a pas été, paraît-il, très concluante à cet égard. Nous croirions plutôt qu’elle n’a pas été très rassurante, et nous sommes portés à penser que la réquisition des chevaux reste le point noir et se détache en sombre sur le tableau assez riant, quant au reste, de notre situation. Il n’est que trop facile de se faire une idée de ce qui se passera lorsqu’on sera obligé d’apparier et d’accoupler des animaux de provenances diverses, qui n’ont aucune habitude du genre de service qu’on leur impose, du mode particulier de traction auquel on les emploie, et même de la nature des véhicules qu’ils ont à traîner.