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M. Larombière, avec ces sentimens si naturels, si profondément inhérens au cœur humain, qui portent le commerçant, sous la double influence de l’espérance et de la honte, à retarder le plus, qu’il peut l’aveu de son insolvabilité. » — « c’est peu pour la résignation, dit à son tour la cour de Montpellier, c’est moins encore si la chute a été subite et imprévue; on verra cependant des faillis qui prendront bientôt leur parti, qui s’exécuteront même avec empressement, et il est facile de prévoir que ce ne seront pas les plus scrupuleux[1]. » A-t-on songé du moins à tous ces petits marchands que la maladie, l’absence, une dernière illusion, l’ignorance même du texte législatif, empêcheront de remplir cette formalité? A-t-on réfléchi, avant d’enfermer le débiteur dans ce délai fatal, qu’il est souvent très difficile de savoir au juste quand il commence, les ressources s’épuisant peu à peu et la cessation des paiemens n’éclatant pas nécessairement comme une bombe? Cependant, pour ces absens, pour ces malades, pour ces hommes ignorans, déçus ou troublés, plus de liquidation judiciaire, partant plus de concordat.

C’est probablement pour atténuer la portée de semblables critiques que la commission parlementaire a, dans le projet de réforme partielle soumis à la chambre le 9 juin 1888, introduit cette nouvelle disposition : « Le droit de demander cette liquidation appartient au débiteur assigné en déclaration de faillite pendant cette période. » Mais alors que devient le principe même de la réforme ? La liquidation judiciaire était, d’après le premier rapport de M. Laroze, une grâce faite au débiteur qui se présentait lui-même à la justice, une prime accordée à son initiative, une façon d’empêcher ces déclarations tardives qui surviennent quand tout est déjà compromis. Quelle devient sa raison d’être si le débiteur peut être mis en liquidation quand l’initiative a été prise par les créanciers? Il aura donc pu s’entendre avec un de ces intermédiaires intéressés que tance si bien le premier rapport, s’embourber tout en retardant sa cessation de paiemens, employer tous les

  1. La chambre de commerce de Bordeaux est allée jusqu’à dire : « Il y aura bientôt, nous le craignons du moins, dans le monde commercial, deux catégories distinctes : l’une se composant, en majeure partie, de ces personnes sans moralité, sachant toujours, suivant l’expression anglaise, se mettre du bon côté de la loi, qui viendront faire sanctionner par la justice des arrangemens frauduleux, habilement préparés avant la déclaration de cessation de paiemens; et l’autre, la plus nombreuse, formée des commerçans honnêtes qui, victimes de généreuses illusions, auront voulu défendre jusqu’à la dernière heure leur honneur et l’intérêt de leurs créanciers. » M. Vergoin vient de tenir à peu près le même langage à la chambre : « Les meilleurs d’entre les commerçans ne sont pas ceux qui ont déposé leur bilan dans le délai de quinzaine... Ces liquidations judiciaires, habilement préparées, sont le fait surtout des commerçans d’une honnêteté douteuse. »