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Encore ce bilan, nommé désormais état de situation, sera-t-il tardivement déposé. Chose étrange! le principal reproche qu’on ait fait à la loi de 1838, soit dans les travaux préparatoires, soit dans la discussion publique du projet supplémentaire, c’est qu’elle n’a pas su contraindre le débiteur à déposer son bilan aussitôt après la suspension des paiemens, et cette impuissance même révélait la nécessité d’une grande réforme! Cependant on autorise expressément le débiteur à ne pas le produire au moment même où il présente sa requête au tribunal et donne la liste de ses créanciers. C’est inconcevable ! Il ne suffit pas de nommer les créanciers ; il faut encore, dès la première heure, indiquer le chiffre des créances, et faire connaître, au moins approximativement, le montant de l’actif, afin qu’une partie de cet actif ne soit pas dissimulée, appréhendée par la femme, par des parens, par des créanciers plus ou moins pressans ! Il importe que, dès le début, aucun solliciteur ne puisse arracher à ce commerçant une faveur déloyale, et, par conséquent, que sa situation soit immédiatement connue pour n’être plus modifiée. C’est ce que M. de La Bâtie avait très bien fait ressortir dans la séance du 16 octobre, et ce que la chambre des députés paraît n’avoir pas compris.

La commission législative avait cru probablement remédier à tout en chargeant un liquidateur de surveiller le « liquidé. » Toutefois, comme le principe même de la liquidation judiciaire consistait à émanciper le plus possible cet heureux débiteur en lui permettant, — M. Laroze le redisait à la chambre le 16 octobre, — de « reprendre les affaires, » de « se livrer à toute espèce de spéculation, » « d’user de son activité pour en faire bénéficier l’état, » on n’avait pas du tout défini les pouvoirs du surveillant, et l’on autorisait manifestement le surveillé à se passer, dans la plupart des cas, de son suffrage. Un député déclara très nettement que, si l’on n’osait pas « accorder au liquidateur le droit absolu de diriger les opérations de la liquidation, » la réforme deviendrait impraticable. Ce reproche était si juste que la commission céda, d’assez mauvaise grâce, et consentit à remplacer, dans deux articles du projet supplémentaire, la surveillance par l’assistance : réforme radicale, puisque le personnage chargé d’assister un incapable doit coopérer, figurer, concourir aux actes passés par l’assisté. Voici donc que, d’après l’article 6 du projet voté par la chambre, le liquidé ne pourra plus même procéder à la vente d’un objet sujet à dépérissement imminent, ni faire un seul acte conservatoire sans la coopération effective du liquidateur. Par là même on a détruit la base du projet primitif, et le sénat aura bientôt à statuer sur une œuvre incohérente.

C’est pourquoi nous repoussons, d’accord avec la cour de cassation,