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mouvement aboutirait à des conséquences négatives en ce qui concerne la classe ouvrière. L’accroissement de loisir entraînerait, pour elle, un accroissement de dépenses, et certains économistes, établissant une sorte d’échelle mobile entre la diminution des heures de travail et la consommation des liqueurs spiritueuses, n’hésitent pas à affirmer qu’à la réduction des heures d’atelier correspond une augmentation de recettes des cabarets qu’ils évaluent à 100 millions de francs par année et par heure de loisir. Cet énorme impôt prélevé sur le salaire de l’ouvrier anglais compenserait et au-delà le gain résultant pour lui de gages plus élevés et de repos accru. Il démontrerait, pour le plus grand nombre, le triste emploi de ces heures de loisir et les progrès du vice national.

Mais si l’abus que l’homme peut faire de sa liberté conquise ne prouve rien contre le principe même, si l’on est en droit d’espérer que le temps, l’expérience et l’usage même d’un légitime loisir auront un jour raison du mauvais emploi qu’il en fait, s’il est injuste de conclure de l’abus à la suppression et de nier le progrès au nom des inconvéniens qui en résultent, il n’en demeure pas moins certain que, dans cette voie d’accroissement de salaire et de réduction de travail, une limite existe et qu’on est près de l’atteindre. L’exemple des États-Unis ne laisse aucun doute à cet égard.


II.

Nulle part ailleurs la lutte entre le capital et la main-d’œuvre n’a atteint de pareilles proportions ; nulle part, liberté d’action aussi illimitée n’a été laissée aux adversaires en présence ; nulle part, enfin l’importance des capitaux accumulés et les exigences des capitalistes ne sont venues se heurter à une résistance mieux organisée, à des masses aussi compactes et plus disciplinées. La puissante association des Chevaliers du travail compte plus de 1,500,000 adhérens obéissant à l’impulsion d’un comité présidé par l’un des hommes les plus remarquables qui soient sortis des rangs de la classe ouvrière aux États Unis.

Né à Carbondale, dans l’état de Pensylvanie, en 1848, Térence V. Powderly, mécanicien de profession, réussit par son travail et son intelligence à sortir de la foule, et fut élu à deux reprises maire de Scranton, ville manufacturière où il s’était établi. Passionné pour l’étude des questions économiques, tête froide et volonté énergique, il ne se laissa séduire ni par l’ambition politique ni par les sophismes socialistes. Son grand bon sens, sa pratique des hommes, son expérience de la vie et des aspirations des classes ouvrières lui suggérèrent le plan de l’organisation actuelle des Chevaliers du travail. Il rallia à ses idées Robert Griffiths, Tom Barry, John Hayes,