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T.-B. Mac-Guire, A. Carlton, ouvriers intelligens, estimés, tous Américains, gens pratiques et résolus, ennemis, comme lui, des utopies décevantes et des mirages trompeurs des théories socialistes allemandes. Ils ne rêvaient ni un bouleversement social ni une révolution politique ; ils n’entendaient ni mettre en haut ce qui était en bas, ni mener à l’assaut des institutions sociales des hordes envieuses, ignorantes et faméliques. Ils savaient que le nombre est une force, mais qu’elle ne demeure une force qu’à la condition d’avoir le droit de son côté ; ils savaient aussi que les efforts isolés sont peu de chose; que, dans le bruit de la lutte des intérêts, on entend à peine cent voix qui supplient, mais qu’on écoute cent mille voix qui protestent.

Ils débutèrent par rallier autour d’eux quelques milliers d’adhérens. C’était peu, mais ils avaient soigneusement éliminé les élémens dissolvans et donné à leur association des cadres assez vastes pour contenir une armée. Chaque corps d’état avait les siens, maigrement remplis alors; le contenant semblait trop vaste pour le contenu ; mais les recrues affluèrent, et, grâce à une intelligente organisation, chacune entra dans le rang qui lui était assigné.

Précis dans ses termes, le programme de l’association la déclarait ouverte à tous sans acception d’occupations honorables, de sexe, de couleur, de nationalité et de croyances. Maintenir le niveau des salaires, protéger les adhérens, hommes et femmes, dans le libre exercice de leurs droits légaux, conjurer des grèves isolées fatalement destinées à échouer, — les grévistes n’ayant plus alors contre eux le capital seul, mais les autres corps d’état brusquement mis en demeure de faire cause commune avec eux ou de les désavouer, — substituer aux efforts individuels une action collective, aux visées restreintes de meneurs ambitieux une vue d’ensemble embrassant la situation économique du pays entier, tel était le but de l’association. Elle aspirait à rendre inutiles des grèves désastreuses, en groupant en une masse compacte tous les corps d’état et en les rendant, par l’intermédiaire de leurs délégués librement élus, juges et arbitres dans les conflits entre le capital et la main-d’œuvre.

De formule nouvelle, de loi révélée, infaillible et mystérieuse, il n’était pas question. Ce programme pouvait être aussi bien promulgué par les Trades Unions, associations de corps d’état, que par les Chevaliers du travail, avec une différence toutefois : les Trades-Unions, forcément renfermées dans le cadre étroit d’une industrie spéciale, incapables par cela même de vues d’ensemble, pouvaient et devaient aboutir à des mesures dictées par des intérêts restreints et souvent en conflit avec l’intérêt général de la classe ouvrière. A un moment donné, l’absorption des Trades-Unions par