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qu’on n’assouplisse, pas un licou qu’on ne graisse. Ce n’est pas petite affaire de bien équiper un cheval pour pareil voyage. Tout d’abord une couverture souple pour le protéger contre les piqûres des insectes venimeux qui abondent dans les forêts, puis une large selle rembourrée avec art sur l’arrière où s’arrime le double sac, bien empaqueté, bien équilibré surtout, maintenu par une courroie pour l’empêcher de battre et de blesser les flancs de l’animal, ou de glisser de côté. Ainsi équipé et chargé, le cheval peut et doit fournir un parcours régulier de 40 kilomètres par jour, pendant un mois. Chaque mois, on lui laisse quatre jours de repos, que l’on consacre à remettre complètement en état son harnachement, entretenu et vérifié d’ailleurs chaque soir au campement.

Sur tous ces détails, l’auteur s’étend avec une complaisance qui prouve la légitime importance qu’il y attachait. L’aéronaute qui s’aventure dans les airs, le navigateur qui se lance sur l’océan à la recherche de terres nouvelles ne surveillent pas avec plus de sollicitude les agrès de la nacelle ou du navire qui les portent que ne fit George Flower se mettant en route pour vérifier l’existence des prairies. Et, de fait, les risques n’étaient pas moindres. Il en courut davantage pour gagner le site où se trouve aujourd’hui Pittsburg qu’on n’en affronterait de nos jours pour faire le tour du monde.

Parti seul, en avant, pour se rendre à Nashville, limite extrême des setllemens, il devait, s’il découvrait la région des prairies, en aviser son associé, qui viendrait, de New-York, le rejoindre avec sa famille, lui amenant des renforts et des provisions. Il ne mit pas moins de sept mois à effectuer ce parcours, arrêté parfois pendant des semaines au bord d’une rivière grossie par les pluies, perdu dans les monts Alleghany et ne retrouvant son chemin que grâce à un cheval errant qui le conduisit à une hutte habitée par un Irlandais, lequel lui donna abri pour la nuit et le remit dans sa voie. Encore le prévint-il qu’il rencontrerait à quelque distance une rivière, en apparence impassable, mais qu’il pourrait franchir à gué, à la condition de suivre bien exactement ses indications. Il devait entrer dans l’eau à un endroit qu’il précisa, « avancer droit devant lui quatre fois la longueur de son cheval, puis tourner brusquement à droite, continuer deux longueurs de l’animal, revenir un peu à gauche, puis pousser vers l’autre rive en obliquant légèrement dans le sens du courant. » Même avec de pareils renseignemens, il fallait bonne mémoire et coup d’œil sûr pour ne pas se noyer. Il ne s’en tira qu’à grand’peine, et le souvenir de cette aventure fit sur lui une impression telle, qu’il lui arrivait encore d’en rêver cinquante ans plus tard, écrit-il.

Pas plus à Pittsburg qu’à Cincinnati il ne put rien apprendre au