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courir les forêts et les plaines campant avec les Indiens, parlant leur langue, apprenant d’eux l’art de subvenir par la chasse et la pêche à sa subsistance, leurs stratagèmes ingénieux pour dérouter leurs ennemis ou suivre à la piste sur d’immenses espaces les troupeaux de buffles et d’élans. Quelques années de cette existence nomade firent de lui un homme robuste, un coureur agile, un intrépide cavalier et un chasseur accompli.

Le bruit de sa réputation parvint aux oreilles d’un négociant qui devait être un jour l’un des plus puissans millionnaires que le monde ait connus. John-Jacob Astor débutait dans sa carrière ; il s’occupait à New-York du commerce des fourrures et des pelleteries. Il prit d’abord Peter Smith à son service, puis l’intéressa à ses affaires, lui laissant pleine liberté d’opérer à sa guise. L’argent était rare alors et peu recherché des Indiens, qui n’en connaissaient pas l’usage ; en revanche, ils appréciaient fort le tabac, les étoffes, les couvertures, dont ils étaient dépourvus et qu’ils remplaçaient par des peaux d’animaux. Peter Smith commença à trafiquer avec eux. Ils l’estimaient comme leur élève; sa qualité de blanc rehaussait le prestige de sa bravoure, aussi s’empressèrent-ils de lui apporter les produits de leur chasse, leurs pelleteries et leurs fourrures en échange des articles fabriqués que lui faisait tenir Astor. Les affaires des deux associés prospérèrent. Peter Smith parcourait en tous sens ce vaste territoire qui s’étendait de New-York aux frontières du Canada. Il fut le premier à en pressentir l’importance future. Sa vie de trappeur et de chasseur avait développé en lui ces aptitudes particulières, ces qualités spéciales aux explorateurs, qui leur font discerner au premier coup d’œil les sites propres à un campement, les avantages qu’il offre pour repousser une attaque, assurer une retraite. Il était passé maître dans cet art où les. Indiens excellent, et qui, pratiqué sur une plus vaste échelle, fait les tacticiens consommés.

Par le fait des circonstances, il en tira un autre parti. En paix avec ses amis indiens, s’occupant non de guerre, mais de commerce, soucieux surtout de s’assurer les moyens les plus économiques et les plus sûrs d’expédier ses fourrures à New-York et d’en faire venir ses articles d’échange, il étudia avec un soin minutieux le terrain sur lequel il opérait, le réseau des rivières navigables qui lui assuraient de prompts transports, les sites les plus avantageux pour y établir des étapes, des relais et des dépôts. C’est ainsi que son coup d’œil exercé lui fit choisir les emplacemens où s’élèvent aujourd’hui Oswego, Rochester et les ports les plus sûrs du lac Ontario.

John-Jacob Astor s’enrichissait. Inaugurant un mode de placement