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A travers tout, l’impression laissée à Rome par cet empereur en voyage est peut-être assez mêlée. Par sa présence, il a certainement surexcité l’orgueil national, flatté cette passion de grandeur et d’importance qui a depuis quelque temps saisi les Italiens ; par quelques-uns de ses actes, par ses allures, il a refroidi les admirations trop promptes. Ce qui reste de plus clair, de plus saisissable, c’est ce sentiment que, si l’empereur Guillaume a réussi, en définitive, d’une manière générale, parce qu’il était la triple alliance vivante, il a montré aussi chemin faisant quelque inexpérience, du décousu, de la légèreté, de l’impatience. Il n’a surtout pas mené jusqu’au bout avec beaucoup de tact l’affaire de sa visite au Vatican. Il n’a pas été heureux pour un prince qui avait pris à l’avance de si minulieuses précautions, qui avait fait venir ses équipages de Berlin, et avait paru tenir à tout concilier. Assurément personne ne se méprenait sur le sens de ces arrangemens d’étiquette. Personne ne se figurait que l’empereur Guillaume allant à Rome en allié du roi Humbert, résidant au palais du Quirinal, se proposât d’aller parler au Vatican du rétablissement du pouvoir temporel, de l’état pontifical ; mais, par les précautions qu’il avait prises, le jeune souverain allemand avait lui-même laissé voir qu’il entendait respecter la dignité du souverain pontife, ne rien brusquer ni dans un sens ni dans l’autre. Qu’est-il arrivé au moment décisif ? que s’est-il passé dans le petit cabinet du Vatican où le pape et l’empereur sont un instant restés seuls ? On ne le sait trop. Qae l’empereur lui-même l’ait voulu ou qu’il eût d’avance donné le mot d’ordre à son frère le prince Henri et au comte Herbert de Bismarck, toujours est-il que la conversation a été brusquement interrompue pour ne plus être reprise. L’empereur a peut-être craint de donner trop d’importance à sa démarche, d’exciter les ombrages du Quirinal par une intimité trop marquée avec le Vatican. Il n’a réussi, par le fait, selon toute apparence, à satisfaire ni le Vatican ni le Quirinal lui-même, qui se serait passé d’un témoignage aussi ostensible de déférence pour le souverain pontife. Le pape Léon Xljl est un esprit trop éclairé, trop avisé, pour s’être fait d’avance quelque illusion sur la visite qu’on lui annonçait ; il n’a dû avoir par suite aucun mécompte. Il savait bien, il sait que les choses seraient restées dans tous les cas ce qu’elles sont, même quand on n’aurait pas cru devoir corriger une marque de courtoisie par un peu de brusquerie soldatesque ; mais c’est la dextérité diplomatique du jeune empereur qui ne paraît pas avoir brillé dans cette circonstance, ni même celle de son conseiller, le comte Herbert de Bismarck.

Les voyages de l’empereur Guillaume paraissent finis au moins pour le moment. Ils ont été suivis depuis quelque temps avec curiosité, comme un spectacle fait pour intéresser l’Europe ; ils ont été commentés partout de mille façons. Ils ont réussi, dit-on ; il y aurait tou-