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ne faisons pas le procès à ces fournisseurs, qui profitaient de l’absence forcée de contrôle pour imposer à nos soldats du drap spongieux et des souliers en papier mâché ; ils ont pu faire fortune, mais ils ne doivent pas ignorer qu’ils ont été plus meurtriers pour nos troupes que les armes de l’ennemi. Partout où nos armées ont séjourné, la mortalité fut énorme, mais elle eût été bien plus funeste encore, si les dix délégations provinciales créées par le conseil central de Paris, au moment où l’Allemagne précipitait sa marche en avant, n’avaient pu donner à la province la vigoureuse impulsion qui mit en activité toutes les forces secourables de la France. Dans plusieurs départemens, des sociétés locales ou particulières s’étaient créées, qui fonctionnaient sans esprit d’ensemble et un peu au hasard de leur inspiration. Il en résulta des désordres que Gambetta essaya de faire cesser en lançant de Bordeaux, le 31 décembre 1870, un décret qui soumettait hiérarchiquement toutes les sociétés libres à la Société mère de secours aux blessés. Cette mesure était irréprochable; elle déterminait l’unité de direction, et devra être appliquée de nouveau si la guerre mettait encore debout notre pays tout entier : Di omen avertant !

Non seulement on donna des secours matériels aux victimes de la guerre, — malades et blessés, — mais on se mit en mesure, autant que les circonstances le permettaient, de leur apporter ce secours moral qui rattache les affections les unes aux autres en calmant les inquiétudes de ceux qui s’aiment et qui sont séparés. Imitant Vienne, qui, pendant la guerre de 1866, avait institué un bureau de renseignemens, la Société de secours en organisa un dès le milieu du mois d’août 1870; on y centralisa tout document relatif aux blessés, aux malades, aux prisonniers, aux soldats tués sur les champs de bataille ou décédés dans les hôpitaux. Le fonctionnement de ce bureau, installé au Palais de l’Industrie, fut promptement limité à l’enceinte même de la ville et à la zone étroite qui s’étendait jusqu’aux armées d’investissement. Paris fut réduit à ne plus s’occuper que de Paris ; mais les délégations régionales fonctionnant à Lille, à Rennes, à Nantes, à Bordeaux, à