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donna une chope de bière; il la but, s’essuya correctement les lèvres, poussa un soupir d’agonie et reprit son attitude de moribond.

Au far et à mesure qu’on relevait les blessés, on les portait à l’ambulance établie en plein air à proximité du champ de bataille. On les couchait sur un bon lit de paille fraîche comme j’aurais été heureux d’en trouver, au temps des voyages, lorsque je n’avais pour matelas que le sable du désert ou les grèves de la Mer-Rouge. Après l’inspection des chirurgiens de service, on les transférait dans une vaste tente ou dans un baraquement d’ambulance, hôpital mobile qui se déplace avec les corps d’armée, les accompagne et reste toujours en contact avec eux. Les blessés que l’on jugeait transportables étaient conduits et installés dans un train de chemin de fer composé de wagons sanitaires qui, si je ne me trompe, appartenaient à la Société bavaroise de la Croix rouge, et qui, à première vue, m’ont semblé de dimensions un peu restreintes. Ces exercices, auxquels assistait l’empereur du Brésil, m’ont vivement intéressé. Je sais bien qu’ils n’ont été qu’une représentation platonique et qu’ils ont été exécutés avec un ensemble, une précision que le tumulte du combat aurait troublés ; mais néanmoins ils sont de bon augure et prouvent que, si l’on enseigne l’art de tuer son prochain, on se préoccupe aussi du soin de le sauver. Il serait à désirer que de telles manœuvres ne fussent pas seulement un spectacle offert à des théoriciens et à des curieux; je voudrais qu’on pût les multiplier, comme on multiplie les exercices de la pompe pour les pompiers. Tout corps de troupes en campagne d’instruction, — marches forcées, petite guerre, opérations stratégiques, — devrait, à mon avis, être accompagné d’un peloton de brancardiers de la Croix rouge, ne fut-ce que pour ramasser les hommes tombés de fatigue, blessés par leur chaussure, et frappés d’insolation. Ce ne serait pas empiéter sur les attributions du corps sanitaire des régimens, ce serait donner une instruction pratique à des hommes dont les services seront d’autant plus précieux qu’ils en auront éprouvé l’importance et apprécié les difficultés.

Si l’Allemagne a de bons brancardiers, les nôtres ne leur sont pas inférieurs ; nous les avons eus et nous les aurons encore. C’est une troupe d’élite qui marche en priant, mais ne recule pas. Autour d’elle viendraient, à l’heure du péril, se grouper les dévoûmens individuels que la France n’a jamais invoqués en vain. On se souvient des hommes dont je veux parler. Dans les combats décevans qui furent livrés sous Paris pendant la période d’investissement, ils ont été au feu comme des vétérans, sans hésitation ni forfanterie. Vêtus de leur longue robe en bure noire, coiffés de l’incommode chapeau à trois cornes, on les a vus, sur nos champs de bataille, recueillant les blessés, les réconfortant et leur montrant peut-être