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dans les pays pauvres, où elle prospère moins que dans les pays riches. Les efforts qu’on y fait n’aboutissent pas; parfois même, ils ont un résultat contraire à celui qu’on recherche. Le perfectionnement prématuré des communications dans les districts médiocrement fertiles ou peu industriels, en y détruisant la vie patriarcale et en y rendant plus sensible la concurrence avec les pays mieux doués de la nature, a plutôt aidé au dépeuplement des premiers. En fût-il autrement, de même qu’un propriétaire a plus d’avantages à porter l’effort de ses capitaux sur ses meilleures terres, tant que celles-ci ne sont pas suffisamment améliorées, plutôt que de les disperser sur des terres médiocres ou arides, ainsi une nation tire beaucoup plus de profit de l’emploi de ses capitaux dans les districts les plus propices à l’agriculture intensive et à l’industrie que de leur dissémination sur tous les points du territoire, même sur ceux qui sont naturellement le plus ingrats. Quand cet emploi naturel s’effectue en dehors de toute contrainte de l’état, c’est-à-dire en dehors de toute ressource d’impôts ou d’emprunts publics, personne dans la nation ne peut se plaindre que l’équité soit lésée.

Quelques personnes, accoutumées à l’arbitraire administratif, jugeront peut-être cette doctrine empreinte de dureté. Elles ne prennent pas garde que certaines circonstances naturelles en tempèrent l’application. L’expérience prouve, en effet, que, même sans une intervention active de l’état, les pays pauvres peuvent être tolérablement desservis. J’ai cité plus haut l’exemple si topique de l’Irlande, qui, sans aucune intervention gouvernementale, par l’action seule des sociétés privées, possédait 4,160 kilomètres de chemins de fer en 1886, soit ! kilomètre par 1,165 habitans, tandis que la France, après cinquante ans d’activé intervention gouvernementale dans la constitution de son réseau ferré, possède 33,500 kilomètres de lignes de fer, ou 1 kilomètre par 1,144 habitans, situation presque analogue.

Il est aisé, en outre, à l’état, de même qu’aux municipalités, lors des concessions d’entreprises de travaux publics, de stipuler que, au-delà d’un certain bénéfice assez élevé, la moitié des profits nets supplémentaires sera employée à étendre le réseau des entreprises de chemins de fer, de gaz, d’électricité, de tramways, etc., ou à diminuer les tarifs. Ne le fît-il pas, que la concurrence qui existe entre les différentes sociétés libres et la jalousie qu’elles ont entre elles, quand l’état ne cherche pas à en restreindre le nombre, le goût des innovations qui lutte chez beaucoup de ces sociétés avec le strict intérêt pécuniaire, les porteraient à se charger d’un bon nombre de voies de jonction ou de raccordement qui sont pour elles médiocrement utiles. Si l’état évitait de faire plier les