Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cacha son visage entre ses mains, frissonnante, avec de terribles sanglots silencieux et sans larmes. Comment s’en étonner? Dans cette même chambre, parmi ces mêmes objets, Barbara Pomfret avait passé jadis les trois premiers mois de la plus heureuse union. Deux années auparavant, son mari était mort, et elle revenait seule aux lieux qui lui rappelaient un si cher passé. Chaque meuble, chaque livre, chaque bibelot était associé de quelque manière à l’image du bien-aimé disparu ; le moindre objet évoquait pour elle quelque réminiscence poignante, et pourtant c’était sa volonté qui la ramenait. Elle ne voulait pas oublier, et où donc se serait-elle souvenue mieux qu’ici? Seulement elle n’avait pas, en prenant une résolution téméraire, calculé toute la force du chagrin qui allait la ressaisir. A mesure que des scènes évanouies se renouvelaient devant son moi intérieur, certaines paroles, certains accens, lui revenaient avec un sentiment de réalité presque intolérable; ses bras, les bras de Valentin, la retenaient, son souffle se mêlait au sien, sa voix lui vibrait à l’oreille. Elle bondit sur ses pieds, qui se prirent dans la lourde étoffe de sa robe; ses yeux fascinés, effarés, interrogèrent l’obscurité derrière elle, enfin elle se précipita vers la porte. Cette chambre était vraiment trop pleine de sa voix, de ses soupirs, de son rire... Haletante, elle essaya de tourner la clé, qui, ne servant plus depuis longtemps, refusa de tourner dans la serrure. Encore, encore, son rire autour d’elle, au-dessus d’elle et des lèvres caressantes qui l’effleuraient;.. elle entendait les mots, des mots tendres, passionnés, qui n’étaient pas faits pour la bouche immatérielle d’un fantôme.

— Barbara,.. ton haleine est un vin qui me grise... Barbara...

A deux mains, elle saisit la clé, folle de peur; le fer un peu rouillé ne cédait toujours pas; elle enroula autour un pan de sa robe... Maintenant elle sentait tout de bon la chaleur des baisers; ils lui prenaient sa vie.

— O Dieu, secourez-moi ! Que cette porte s’ouvre, qu’elle s’ouvre !

Miss Fridis, courbée sur son tricot à l’étage inférieur, entendit le bruit d’une lourde chute et se précipita sur l’escalier pour y rencontrer Ramsès, les yeux hors de la tête. Toutes les deux se heurtèrent au corps de Barbara, qui gisait à moitié dans sa chambre, à moitié dans le corridor. Ramsès releva sa maîtresse, la porta sur son lit. On fit toutes les choses désagréables et inutiles que commande l’usage en cas d’évanouissement. Quand le temps fut venu pour Barbara de reprendre connaissance, elle souleva ses paupières et, respirant à grand peine : — Je sais, dit-elle, je sais...

— Vous savez quoi? demanda miss Fridis, câline.

— Je sais, répéta Barbara, je sais oh je suis. Il me faut une serrure