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neuve... demain, entendez-vous! Ramsès, tu coucheras ici ce soir. Quelle heure est-il?

— Plus de minuit, répondit Ramsès, qui tenait les pieds nus de sa jeune maîtresse dans ses deux mains. Allez vous coucher, miss Fridis. Et dormez, vous aussi, miss Barbara.

— Oui, chère, il le faut,.. je vous en prie,.. pour l’amour de moi, supplia la tante.

— Pas encore, pas encore...

Elle essaya de se redresser et retomba parmi les oreillers. Un frisson soudain parcourut ses membres; elle fit un nouvel effort et, le bras autour du cou de Ramsès : — Aide-moi, murmura-t-elle, aide-moi à sortir de ce lit, vite... Le canapé, là-bas...

Quand on l’eut transportée sur le canapé, elle ferma les yeux et resta si tranquille qu’on put croire qu’elle s’était évanouie de nouveau; mais comme Ramsès allait se lever pour chercher quelque drogue, elle appuya une main blanche sur sa tête laineuse, lui indiquant de ne pas bouger.

— Allez vous coucher, miss Fridis, répéta Ramsès. Il ne sert à rien de rester debout toutes les deux.

Et quoique la vieille demoiselle persistât à humecter de ses lèvres flasques la main inerte de Barbara, Ramsès réussit à l’emporter de gré ou de force vers sa chambre virginale. Quand de nouveau Barbara ouvrit les yeux, elle vit que la mulâtresse, revenue auprès du feu, le ranimait d’une façon toute biblique, en soufflant avec sa bouche. Hélas! combien de fois, blottie sur ce même sofa, s’était-elle amusée des efforts de Val, s’évertuant à imiter la méthode nègre de souffler jusqu’à ce que ses joues gonflées l’eussent fait ressembler au dieu des vents en personne. Les moindres choses la blessaient au cœur...

Quand la flamme bleuâtre commença de s’enrouler en guirlandes autour des fagots, elle appela sa fidèle servante: — As-tu trop envie de dormir? lui demanda-t-elle avec un délicieux sourire que celle-ci connaissait bien, car il était associé à d’innombrables cadeaux et semblait respirer l’été, une saison chère entre toutes à la sensitive créature.

— Seigneur, vous voilà redevenue vous-même ! s’écria-t-elle sans répondre à la question de Barbara. J’ai cru, quand je vous ai revue d’abord ce soir, que vous ne souriiez plus.

Barbara sourit de nouveau, et Ramsès déclara qu’elle n’avait nulle envie de dormir auprès d’elle.

— Les autres domestiques sont-ils couchés?

— Sans doute, dit Ramsès, en passant un bras souple autour de sa maîtresse pour la mettre debout.

Barbara resta un instant immobile, très grande, pareille à un