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et la « méchanique » de l’utilité dont elle pouvait être « pour la diminution ou le soulagement des travaux des hommes. » L’âge d’or que ses contemporains, à l’imitation des Romains ou des Grecs, mettaient toujours dans le passé, c’est dans l’avenir qu’il nous en montre la vision confuse. A chaque progrès de la théorie répondra maintenant un progrès de la pratique, dont les limites, si jamais nous les atteignons, ne se rencontreront qu’aux confins mêmes du monde. Héritiers de toutes celles qui l’auront précédée dans la vie, chaque génération nouvelle, ajoutant quelque chose au patrimoine commun de l’humanité, l’accroîtra, pour sa part d’un enrichissement durable. Et la vie même se perfectionnant avec la science, le progrès de l’espèce imitant ou suivant celui de la connaissance, nous deviendrons « comme des dieux, » à moins que, soustraits aux conditions de la mortalité, nous ne devenions Dieu lui-même.

Et par là enfin, une cinquième et dernière idée, se dégageant de celle du progrès, achève de caractériser l’essentiel du cartésianisme : c’est celle de l’Optimisme. Qui donc a dit qu’il n’y avait pas de philosophie un peu profonde qui n’inclinât au pessimisme? Ce n’était pas sans doute un cartésien, car, généralement vraie des philosophies morales, de celles qui s’enferment elles-mêmes dans le cercle de l’expérience humaine, la remarque ne l’est pas des autres. Mais en tout cas, pour le cartésianisme, les principes qu’il avait posés ne pouvaient pas ne pas le conduire nécessairement à l’optimisme. Aussi aucune philosophie n’a-t-elle conçu la vie d’une manière plus optimiste, ni plus hardiment soutenu que la vie se compose de plus de biens que de maux ; et ce caractère, qui n’en est pas le moins original au XVIIe siècle, n’est pas non plus celui qui devait être d’abord le moindre obstacle à sa fortune.

On ne saurait en effet s’empêcher d’observer que le Discours de la méthode ne semble pas, dans le temps de sa publication, avoir fait grand bruit dans le monde. Non-seulement dans sa nouveauté, mais dans le cours même du XVIIe siècle, à peine en connaît-on quelques rares éditions; et c’est une preuve au moins qu’il ne fut pas beaucoup lu. Il est vrai que Chapelain, dans sa Correspondance, en parle avec éloges, et nous avons des témoignages de l’estime de Balzac pour Descartes. Mais peut-être que Chapelain, quoique l’on ait tenté pour le réhabiliter, sinon comme poète, au moins comme critique, n’est pas un juge autorisé des choses de la philosophie ; ni l’éloquent Balzac, du fond de son Angoumois, un garant bien sûr de l’opinion publique. En réalité, si l’on y regarde de près, trois sortes d’hommes seulement parurent s’intéresser, en France, au Discours de la méthode : les mathématiciens ou les curieux, le père Mersenne, Clerselier, Desargues, Roberval, Fermat, les Pascal,