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Serrons cependant la question de plus près, et cherchons tout d’abord quelle a été, dans l’école même, l’influence de Descartes. Si grande qu’elle soit, on l’exagère; et, après avoir indiqué ce que les Spinosa, les Malebranche, les Leibniz ont de commun entre eux et avec Descartes, il serait un peu long, mais, en revanche, il serait facile, de faire voir que, tout en acceptant les données du cartésianisme, ils les ont tous les trois aussi profondément que diversement modifiées. Jamais disciples ne furent plus libres, puisque, partant des mêmes prémisses, aucuns disciples n’aboutirent à contredire plus formellement le maître. On pourrait ajouter que les questions mêmes à la discussion desquelles Descartes s’était systématiquement dérobé, — comme la question de la Providence et celle du sens ou de l’objet de la vie, — sont précisément celles auxquelles Spinosa, Malebranche et Leibniz ont consacré de préférence leurs méditations. Bien loin, comme Descartes lui-même, de mettre à part et en dehors de la science les problèmes les plus généraux de la religion et de la morale, c’est à ces problèmes qu’ils se sont presque uniquement attachés ; — et cela seul suffit à mettre entre eux et lui bien plus de différences que les historiens du cartésianisme n’y ont aperçu de rapports.

Ce qui est vrai d’eux l’est bien plus encore des Bossuet et des Fénelon, dont on va pourtant répétant que les traités fameux, — celui de la Connaissance de Dieu et de soi-même, et celui de l’Existence de Dieu, — inspirés du plus pur esprit du cartésianisme, n’existeraient pas sans Descartes et son Discours de la méthode. C’est à la fois considérer Descartes, sur sa seule parole, comme beaucoup plus indépendant de ses maîtres qu’il ne l’est réellement, et Bossuet et Fénelon, au contraire, comme beaucoup moins originaux, personnels et profonds qu’ils ne le sont l’un et l’autre. Descartes est plein de raisonnemens ou de théories qui ne lui appartiennent pas en propre, comme Bossuet et Fénelon abondent en idées qui ne leur viennent point de Descartes. C’est même ce qu’un savant homme a exprimé quelque part assez dédaigneusement, en disant de Bossuet qu’il n’avait jamais eu d’autre philosophie que celle de ses vieux cahiers de Navarre. Mais, en outre, et si c’est à des pères de l’église, à saint Anselme ou à saint Thomas, que remontent quelques-unes des idées du philosophe, — sa preuve, par exemple, de l’existence de Dieu par l’idée du parfait, — on avouera que toutes les probabilités sont pour que Bossuet et Fénelon les aient eux-mêmes puisées à la source au lieu de les emprunter à Descartes. Et ainsi, en effet, se sont passées les choses. Ce qu’ils trouvaient en lui de conforme ou d’utile à la religion dont ils étaient les représentans ou les docteurs, ni Bossuet ni Fénelon