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selon la forte expression de Bossuet, « de porter les coussins sous les coudes des pécheurs. » L’opinion, de son côté, maintenant avertie des dangers de la casuistique, s’est habituée à réclamer de ceux qui prétendent gouverner les consciences une morale et des enseignemens qui ne soient pas les mêmes que ceux de l’honneur mondain. Cela ne veut dire en aucune façon que le XVIIe siècle ait mieux valu que les autres ; les hommes sont toujours les mêmes ; et la cour de Louis XIV n’a pas plus que les autres manqué d’exemples fameux de scandale et d’immoralité. Mais cela veut dire que l’on a compris combien il importait de ne pas adoucir les rigueurs de la règle qui condamnait ces scandales eux-mêmes, et qu’en les donnant, il fallait que l’habitude ne se perdît pas de les nommer de leur vrai nom. fin effet, c’est ce qui mesure la moralité d’un peuple ou d’une époque, les noms qu’ils imposent aux vices qui sont éternellement ceux de l’humaine nature, et le souci qu’ils témoignent de ne pas diminuer la honte ou l’horreur qui s’y attachent.

Les Pensées sont venues compléter les Provinciales, et, à cette idée que la morale ne saurait, sans cesser d’être elle-même, se ployer aux exigences des temps ni des lieux, elles sont venues ajouter celle-ci, que le devoir essentiel de l’homme est de travailler au « renouvellement » intérieur de lui-même. C’est une autre mesure encore de la moralité. Quand vous voudrez savoir ce qu’il convient de penser de la moralité d’une époque, dispensez-vous de le demander aux historiens secrets et aux anecdotiers du temps : vous trouveriez, vous prouveriez qu’elles se valent toutes. Mais aux différens étages de la société, cherchez et comptez combien d’hommes se sont proposé ce « renouvellement » ou ce « perfectionnement moral » d’eux-mêmes comme objet de leur vie. Pour en trouver autant qu’au XVIIe siècle, il vous faudra remonter jusqu’au siècle héroïque du moyen âge, à moins encore que, changeant de ciel, vous n’en remarquiez le nombre parmi les premiers adeptes du protestantisme. Pendant plus de cinquante ans, la conscience française, si l’on peut ainsi dire, incarnée dans le jansénisme et rendue par lui à elle-même, a fait contre la frivolité naturelle de la race le plus grand effort qu’elle eût fait depuis les premiers temps de la réforme ou du calvinisme. Et c’est même pour cette raison qu’à de certains égards la destruction de Port-Royal, qui semble n’être dans notre histoire politique intérieure qu’une mesure d’ordre administratif, à la vérité violente et tyrannique, est dans notre histoire intellectuelle et morale un fait presque aussi considérable que celui de la révocation de l’édit de Nantes.

Le plus remarquable exemple de cette influence du jansénisme,