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Chez nous, cette critique se borne le plus souvent à la banalité de quelques complimens sans portée. Cela tient à l’abstention trop fréquente des généraux chargés des grands commandemens, qui seuls ont l’autorité et la compétence nécessaires à ce rôle d’instructeur en chef.

A l’étranger, et notamment en Allemagne, le souverain chef de l’armée, les généraux désignés pour commander les armées, qui, comme nous l’avons dit, sont toujours présens aux manœuvres, ne se contentent pas d’y figurer en spectateurs curieux; ils y sont dans toute la réalité de leur rôle de grands chefs, transmettant les observations du souverain, et prenant occasion de chaque faute pour faire profiter leurs subordonnés d’un enseignement qui est la raison d’être des grandes manœuvres.

En Allemagne, tout est organisé et étudié en vue de la préparation à la guerre. L’unique préoccupation nationale est d’avoir une armée prête depuis le premier de ses généraux jusqu’au dernier de ses soldats. Le maréchal de Moltke ne vient-il pas de donner une preuve solennelle de cette sage pensée dans la lettre par laquelle il demande à l’empereur une retraite qu’il motive ainsi : « Je suis obligé de vous mander que mon grand âge ne me permet plus de monter à cheval. Votre Majesté a besoin de forces plus jeunes, et un chef d’état-major-général incapable de faire campagne ne lui sert à rien. »

En présence de cette tension de toutes les forces vives d’une armée, d’une nation entière, vers le but unique qui lui est marqué, pourrait-on croire qu’en France le général qui doit commander devant l’ennemi la cavalerie indépendante ait été condamné à rester trois ans sans voir un escadron, et que le généralissime lui-même: n’ait pas pu assister depuis plus de six ans à la moindre manœuvre ?

Et, de l’autre côté du Rhin, on nous accuse de vouloir la guerre ! Hélas ! est-il seulement permis de croire que nous songeons à nous défendre lorsqu’on voit, deux fois l’année, se succéder à la tête de l’armée des ministres et des chefs de l’état-major-général, qui apportent dans les personnes les changemens de leurs préférences, dans les choses les nouveautés de leurs jalousies, et qui s’en vont laissant toujours plus grands les débris qu’ils accumulent, sans qu’aucun d’eux ait jamais est le loisir de rien édifier de durable?

La politique souveraine l’ordonne ainsi.


Nous ne parlerons pas de la loi sur l’armée, quelque misérable que soit le spectacle de ces projets qui se succèdent depuis plus de