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incohérence de jeunesse, une certaine impatience d’autorité dont on ne laisse pas d’être surpris et même de s’inquiéter pour l’avenir à Berlin.

Ce ne sont là, après tout, que des incidens plus ou moins curieux, plus ou moins caractéristiques d’un commencement de règne. Pendant ce temps, c’est toujours le vieux chancelier qui, sans quitter sa solitude de Friedrichsruhe, fait les affaires de l’Allemagne; et ce qui tendrait à prouver que, pour le moment, M. de Bismarck n’est pas absolument et exclusivement préoccupé de l’Europe, c’est qu’il semble disposé à s’engager plus que jamais dans une de ces entreprises de politique coloniale qu’il poursuit depuis longtemps. Une compagnie allemande de colonisation, favorisée et encouragée par le gouvernement de l’empire, s’est établie, on le sait, sur la côte orientale de l’Afrique, à Zanzibar. Malheureusement cette colonisation à peine ébauchée a éprouvé récemment un vrai désastre. Les indigènes se sont soulevés contre les dominateurs de la côte. Les colons allemands ont été massacrés; un de leurs chefs a été tué en combattant, un autre a été réduit à se donner la mort pour échapper à une horrible captivité. Bref, tout est à recommencer, et c’est justement dans ces conditions que M. de Bismarck s’est chargé de reprendre l’affaire, avec la pensée, sans doute, d’établir le protectorat direct de l’empire sur la côte africaine. Chercher des alliés pour venger ou protéger des sujets et des intérêts allemands eût été un peu vain. M. de Bismarck a été assez habile pour transformer la question, pour intéresser d’autres gouvernemens à ses projets, sous le prétexte humanitaire de réprimer le trafic des esclaves. Il a eu même une correspondance avec l’association formée sous les auspices de M. le cardinal Lavigerie pour combattre le commerce des esclaves en Afrique ; mais M. le cardinal Lavigerie n’a point de navires, et le chancelier s’est surtout adressé à l’Angleterre, en lui demandant de s’associer à la répression de l’esclavage. Lord Salisbury, dans ses premières explications, dès l’ouverture du parlement, n’a pas laissé ignorer que l’Angleterre avait accepté de concourir à un blocus de la côte de Zanzibar pour la répression du trafic des esclaves. Le chef du cabinet anglais n’a pas caché non plus qu’on s’était adressé à la France comme à quelques autres états, et que la France, non sans quelque hésitation, s’était montrée disposée à reconnaître le blocus, à envoyer elle-même un navire et même à faire quelque concession limitée, temporaire, sur le droit de visite en mer. C’est là qu’en est la question. A vrai dire, c’est une affaire assez étrange, assez obscure, dont on ne peut démêler encore ni la portée ni les limites, et ce n’est qu’après réflexion sans doute que la France s’engagera dans cette bizarre aventure.

Tout est contraste dans la vie des peuples. Il y n’a que quelques