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il y en eut treize d’étouffés. Le combat de Mgarine eut un bien autre résultat : Slimane et le chérif, absolument démoralisés, sortirent du ksar pendant la nuit du 1er au 2 décembre et disparurent. Ce fut très heureux, car, pour enlever Tougourte par un coup de main, il aurait fallu franchir un fossé large de 15 mètres, profond de 3, puis escalader une escarpe de 8 à 10 mètres de hauteur.

Le 2 décembre, le lieutenant Roze, avisé de l’évasion des chefs, eut la bonne fortune d’entrer le premier dans la place, où le commandant Marmier ne tarda pas d’ailleurs à le suivre. Le colonel Desvaux y arriva le 5, et le commandant Du Barail le 8. Les demandes d’aman affluaient; le 15 décembre, tout l’Oued-Righ, tout le Souf, avaient fait soumission. La dignité de kaïd de Tougourte fut conférée à l’un des fils du fameux Farhat-ben-Saïd ; on lui laissa provisoirement, comme force publique, la compagnie de tirailleurs indigènes avec un peloton de spahis.

Il ne restait plus qu’à faire apprécier aux populations sahariennes, par des preuves évidentes, les bienfaits qu’en retour de leur obéissance leur apportait la domination française, l’ordre et la justice d’abord, puis le développement de leurs intérêts matériels. Dans ces régions brûlées, asséchées, où les rares cours d’eau ne peuvent échapper à l’évaporation qu’en se dissimulant sous le sable, quelle fortune qu’un puits qui ne tarit pas, qu’une source qui jaillit toujours! Cette fortune, les colonnes françaises l’amenaient avec elles et la laissaient après elles.

Au mois de décembre 1855, le général Desvaux visitait sa conquête de l’année précédente. Un ingénieur, M. Laurent, qui l’accompagnait, apprit d’abord aux gens du Souf et de l’Oued-Righ à dégager facilement leurs puits obstrués, à en forer de nouveaux, à retenir, par des barrages peu coûteux, l’eau recueillie précieusement. Il fit plus et mieux: il reconnut, par une étude attentive du terrain et par des sondages, l’importance des nappes souterraines, la direction des rivières cachées, et il prépara de la sorte l’œuvre que devait entreprendre, dès l’année suivante, son lieutenant, M. Jus, ces admirables fontaines jaillissantes, sources de vie, dont les gerbes, retombant en ruisseaux intarissables, ont, partout où il leur a été permis d’atteindre, secoué dans sa tombe, tiré de son linceul de sable et ressuscité le désert.


V.

Pendant la conquête du sud, l’Algérie avait passé par une épreuve depuis longtemps redoutée, toujours inquiétante pour une colonie, la crise d’une grande guerre européenne. Elle s’en était