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contre les Beni-Djennad, les partisans les plus décidés de Bou-Baghla. C’est dans leur territoire que se trouve le Tamgout, le sommet le plus élevé de la chaîne côtière. Sur un contrefort de ce pic, au village d’Agherib, les Beni-Djennad avaient concentré leurs forces. La position, abordée par trois colonnes et tournée par la gauche, fut emportée dès la première attaque. Ce même jour, la division Mac-Mahon, qui avait passé la veille le col de Ksar-Kbouch, battit par la même tactique des Beni-Hoceïne. Ce double succès eut pour résultat immédiat la soumission de tout le littoral.

Le 12 juin, les deux divisions se réunirent et, le 15, se dirigèrent, en remontant la vallée du Boubekir, vers les Béni Hidjer, les hôtes de Bou-Baghla. Depuis plusieurs jours, on voyait passer, du sud au nord, par les crêtes orientales du bassin, un courant d’hommes armés ; c’étaient des Illoula, des Beni-Mellikeuch, même des Djurdjuriens de la grande chaîne, qui, appelés par les Beni-Hidjer, se hâtaient à leur aide. L’idée vint alors au gouverneur de faire tête de colonne à droite, et d’aborder le territoire quasi désarmé des contingens qui l’attendaient ailleurs. Les troupes n’étaient pas dans le secret. Quand, le 16, à trois heures du matin, sans sonneries, en silence, elles s’ébranlèrent pour marcher au sud, non à l’est, après un premier moment de surprise, elles eurent bientôt compris la manœuvre du général en chef. La marche était difficile, la montée raide, mais quand on eut atteint le Sebt, le plateau où se tient, le samedi, le marché des Beni-Yaya, ce fut dans tous les rangs un cri d’admiration. Jamais panorama si grandiose ne s’était développé autour d’une colonne ; ce qu’on voyait, c’était le cœur même de la Grande-Kabylie.

« Le gouverneur-général, dit la relation rédigée d’après les notes de son état-major, reçut des félicitations sur l’audace et l’habileté d’une marche qui le rendait maître, sans coup férir, d’une aussi formidable position ; mais il ne se dissimulait pas les périls qu’elle présentait, et il mit tous ses soins à en prévenir les conséquences. Le corps expéditionnaire se trouvait en effet séparé de sa base d’opérations par un pays de l’accès le plus difficile ; ses communications avec Tizi-Ouzou pouvaient être compromises, pour peu que les tribus ennemies cherchassent à les inquiéter, et il devenait impossible de quitter cette position sans avoir frappé de terreur, par des coups vigoureux, les diverses confédérations kabyles qui l’entourent. Le moindre échec, en exaltant la bravoure naturelle des montagnards, pouvait produire un soulèvement général et amener contre nos 8,000 fusils plus de 25,000 Kabyles, soutenus par leur farouche patriotisme et merveilleusement servis dans leurs attaques par les embarras d’une colonne chargée de bagages, au milieu de difficultés de terrain inextricables et qui devaient se renouveler à chaque pas.