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saluer sa majesté à son entrée sur le territoire allemand ; sa santé inspirait à ce moment de vives inquiétudes, on redoutait un ramollissement du cerveau.

La présence du prince, ses chaleureuses protestations, montraient que déjà à Berlin on s’appliquait à suivre l’étonnant programme que M. de Bismarck avait tracé à sa cour au sortir de la guerre de Crimée : « Faire des avances à Napoléon III qui n’engagent à rien, » tels étaient les conseils qu’au mois de mai 1856 il avait donnés à son souverain.

M. de Bismarck, préoccupé d’une alliance franco-russe, son perpétuel et cuisant souci, avait brigué l’honneur d’accompagner le prince à Bade ; il tenait à faire sa cour à l’empereur, à scruter ses tendances et à pressentir les chances que les entretiens de Stuttgart pourraient bien réserver à sa politique, mais il ne parvint pas à l’approcher. Il se dédommagea en essayant de jouer au plus fin avec la grande-duchesse Stéphanie. — Il aurait voulu la faire causer et savoir par elle, en provoquant ses confidences, comment son neveu avait pris l’habile manœuvre que venait de faire l’Autriche pour attirer les Russes à Weimar. Il entrait dans sa tactique de piquer notre amour-propre et d’exciter notre défiance. La grande-duchesse était fine, pénétrante; elle ne s’y laissa pas prendre. « J’ai pu me convaincre, écrivait-il, qu’elle est au courant, mais elle a fait semblant de ne pas savoir comment les choses se sont passées. Elle a voulu évidemment me faire parler, bien que renseignée ; ses sources sont autrichiennes, ajoutait-il avec aigreur; elle a à son service, en qualité d’écuyer, un ancien officier autrichien dont le cabinet de Vienne se sert pour agir sur les Tuileries par son intermédiaire.»

M. de Bismarck, dans l’ardeur de son patriotisme, avait la manie de traiter en ennemis et de dénoncer à son gouvernement tous ceux qui n’affichaient pas de sympathies pour la Prusse. Jamais dans ses correspondances un diplomate ne s’est montré, pour ses collègues dont les devoirs ne se conciliaient pas avec les intérêts du cabinet de Berlin, plus intolérant, plus agressif. L’histoire rendra un éclatant hommage à son génie diplomatique, mais il lui en coûtera de célébrer sa grandeur d’âme.

La grande-duchesse Stéphanie n’avait pas d’écuyer à son service. Sa cour se composait d’un maréchal, le baron de Schreckenstein, d’une grande-maîtresse, Mlle de Gageneck, d’une dame d’honneur, Mlle de Ring, qui, après son mariage, fut remplacée par Mlle de Freystaedt, aujourd’hui comtesse Aguado, et d’un chambellan, M. de Leoprechling. Personne dans ses entours ne s’occupait de politique. Elle correspondait directement avec l’empereur ; ce ne fut que dans les dernières années de sa vie qu’elle eut recours parfois à l’un des chambellans