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voisins, s’étaient partagé ses bonnes grâces : de la Pinacothèque de Munich elle avait passé dans l’Alhambra de Stuttgart. Elle évitait de s’immiscer dans les affaires de l’état; le gouvernement du théâtre suffisait à son ambition. L’intendant était son ministre; il venait tous les matins prendre ses ordres, il arrêtait avec elle le répertoire, la distribution des rôles et les engagemens du personnel. On l’accusait cependant de s’être inspirée de sa foi catholique pour sortir de son rôle, et décider le roi à traiter avec la curie romaine.

L’héritier présomptif était un prince loyal, affable. Le roi Guillaume, au lieu de l’initier aux affaires, le tenait à l’écart, il lui battait froid; il se souciait moins du règne futur que de sa propre gloire. Peut-être aussi se méfiait-il des attaches trop intimes de son fils avec la cour de Russie. La raison d’état est jalouse, ombrageuse; un drame tout récent nous a fait voir qu’elle n’est pas paternelle pour les princes qui professent des idées et des sympathies incompatibles avec son système. Le roi ne se sentait pas attiré vers sa bru; la princesse Olga lui portait ombrage, elle était fière, intelligente, et n’oubliait pas qu’elle était la fille préférée de l’empereur Nicolas. Ses grandes allures, sa beauté rayonnante et sa vie irréprochable contrastaient avec les mœurs et les habitudes bourgeoises du vieux souverain. — Les affections avouables du roi se concentraient sur ses enfans issus de son premier mariage avec la grande-duchesse Catherine de Russie : la reine des Pays-Bas et la princesse Marie, mariée à un officier autrichien, le comte de Neipperg. La princesse Marie n’eût pas inspiré un peintre épris de l’idéal, mais elle était instruite, initiée au mouvement littéraire[1].

Un raout chez la princesse royale clôtura les fêtes. La soirée fut marquée d’un piquant incident. Une dame russe, svelte, élégante, au type tartare, qui depuis a brillé, avec éclat, dans la colonie étrangère de Paris, était arrivée à Stuttgart sans mari, sans parrain, avec l’ambition d’être reçue à la cour et la ferme volonté d’approcher les deux empereurs. Pour être invitée, elle s’autorisait du proverbe : «Ce que femme veut, Dieu le veut ; » c’était son principal titre. Elle comptait sur la légation de Russie pour se faire ouvrir les portes, mais le général de Benckendorf l’avait éconduite avec tout le respect et tous les égards dus à une femme distinguée : elle ne figurait pas sur l’annuaire de la cour de Pétersbourg, elle n’était pas hoffähig. Grand fut l’étonnement du comte de Benckendorf, lorsqu’à son arrivée à la

  1. De son second mariage avec une de ses cousines, le roi eut un fils, le prince Frédéric-Charles, aujourd’hui régnant, et deux filles, mariées, l’une au prince de Wurtemberg, dont le fils est aujourd’hui l’héritier présomptif, et la seconde au prince Hermann de Saxe-Weimar, qui, par sa cordiale aménité, a toujours et partout éveillé de vives sympathies.