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soldat intelligent et l’être rudimentaire, à sacrifier, pour une abstraction, les règles du goût et de l’expérience, à ne tenir aucun compte des différences économiques, des supériorités sociales. Si veut la logique, si veut le principe, si veut la fausse centralisation. Allez donc nous persuader que le meilleur ministre c’est tout le monde, que l’ordre ne vient pas seulement du pouvoir, mais qu’au contraire la société se gouverne du dedans au dehors, et que le meilleur gouvernement est celui qu’on voit le moins ! Nous ressemblons à cet Athénien qui, ayant eu la jambe cassée, prit l’habitude des béquilles et poussa les hauts cris lorsque, après sa guérison, on lui proposa de marcher sans cet appui. Henri Heine raconte qu’un mécanicien qui avait déjà imaginé les machines les plus ingénieuses s’avisa à la fin de fabriquer un homme et qu’il y avait réussi. L’œuvre sortie de ses mains pouvait fonctionner et agir comme un homme; il portait dans sa poitrine de cuir une espèce d’appareil de sentiment humain, il savait communiquer en sous articulés ses émotions, et le bruit intérieur des rouages, ressorts et échappemens qu’on entendait alors, produisait une véritable prononciation. Enfin, cet automate était un gentleman accompli, et, pour en faire tout à fait un homme, il ne lui manquait plus qu’une âme. Pendant longtemps, notre département, nos communes ont ressemblé à l’automate, il leur a manqué aussi une âme ; on avait devant soi une poussière départementale, une poussière communale, et les choses n’ont guère changé depuis 1870. Conseillers généraux, conseillers municipaux, maires, tous gardent l’idolâtrie de l’état, la passion des béquilles administratives ; maintenant comme autrefois, la province, avant de se faire une opinion, veut savoir ce qu’on dit à Paris, et le Parisien ne s’inquiète guère plus de ce qu’elle pense que de ce que pensent ses jambes.

Aussi bien Paris est redevenu le siège du gouvernement et des parlemens, il a toujours été le boulevard, la place forte de la centralisation politique et administrative, il a fait et défait maint gouvernement, détruit ce qu’il avait édifié, donné le branle à la France entière. Son organisation municipale a sans cesse préoccupé les pouvoirs publics, et, par ses doléances, par ses réclamations, par ses empiètemens. Son Eminence Rouge le conseil municipal de Paris ne cesse de troubler, de fatiguer l’opinion. D’ailleurs, la chambre paraît croire que la situation exige quelques changemens, des ministres, des députés ministrables ont promis certaines concessions au parlement de l’Hôtel de Ville, et, sans aucun doute, on a fait trop ou trop peu pour la cité impériale. Mais convient-il de diminuer ou d’étendre ces libertés municipales, qui, en tout pays, sont le berceau, l’école, le rempart des libertés politiques?

La question est d’importance, puisqu’elle porte dans ses flancs