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règne. Les dîners ont assisté la naissance des corps de métiers et égayé leur berceau ; ils président à leur gloire, assurent leurs destinées. La livery a ses dîners de fondation deux ou trois fois l’an ; ses officiers festoient chaque semaine en venant retirer leurs jetons de présence, et répliquent sans doute aux censeurs moroses que les abus les plus crians sont ceux dont on rte profite pas. Ils se ménagent d’ailleurs de solides appuis qu’ils ne perdent pas une occasion de renforcer. M. Gladstone fait partie de la compagnie des tanneurs, sir Northcote appartient à celle des tailleurs, lord Granville est affilié aux poissonniers, où il succède à Grey, Russell Palmerston, Cobden. Le 13 octobre 1881, dans un banquet au Guildhall, M. Gladstone prenait cet engagement : « Jamais le parlement ne sanctionnera rien qui puisse dégrader votre grande corporation, affaiblir son action ; loin de là, une nouvelle dignité une nouvelle énergie, un accroissement de la confiance publique, un rappel de l’œuvre utile et des services rendus au pays, seront l’inévitable conséquence des mesures que le parlement adoptera pour organiser les institutions municipales de Londres... Plus les années s’accumulent sur moi, avait-il dit auparavant, plus j’attache d’importance aux institutions locales. C’est par elles que nous acquérons l’intelligence, le jugement, l’expérience politiques, que nous nous rendons aptes à la liberté; sans elles, nous n’aurions pu conserver nos institutions centrales. »

Toutefois, les assaillans ne se découragent point; vingt fois déjà ils sont revenus à la charge et contre la métropole et contre la cité, contre ce dédale de lois et d’autorités qui nécessite l’intervention continuelle de l’état, ces taxes énormes levées sans proportion, ces valeurs immobilisées dans quelques mains. Leur verve fulmine surtout au sujet du gouvernement de la cité, l’abus géant, comme l’appelait lord Brougham, du loi-d-maire, dont la popularité a pour base l’appétit des gouvernans, dont « la gestion est une indigestion, » ces aldermen nourris de soupe à la tortue (turtle fed aldermen), successeurs en ligne directe de Falstaff, qui ont leurs mystères, leurs archives secrètes interdites au profane. Des processions, des costumes, des recorders, des massiers, peut-on imaginer quelque chose de plus grotesque? Et ces corporations, gouvernées par une oligarchie, quel anachronisme, quelle décadence ! Passez en revue les aldermen, les conseillers municipaux, vous trouverez parmi eux des petits commerçans, horlogers, courtiers, droguistes, boulangers, bouchers, chapeliers, pas un représentant de la grande industrie, pas un juge, pas un clergyman, pas un riche propriétaire, pas un officier de l’armée. Les hommes en vue, l’élite des citoyens dédaignent ces fonctions ; c’est comme un divorce par antipathie entre le grand négoce et la corporation. Le mal d’ailleurs