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Antécédens irréprochables, caractère, moralité à l’abri de tout soupçon, haute taille, vigueur, voilà ce qu’on exige des patrolmen : on se montre coulant sur le chapitre de l’instruction, fort sévère sur le service ; les punitions pleuvent comme grêle, mais le dernier des patrolmen, destitué par le surintendant, peut se pourvoir devant l’autorité judiciaire. Admirables dans la répression des émeutes, un peu brutaux les jours de fête publique, ces précieux serviteurs n’ont peut-être pas eu le temps de méditer assez le précepte de M. de Talleyrand et jouent trop volontiers du club en bois d’acacia. A côté de M. French, président du bureau de police, M. Byrnes, chef de la police secrète, a sous ses ordres une brigade qui accomplit de véritables prodiges.

Le bureau de police exerce d’importantes attributions en matière électorale : c’est lui qui désigne les 4,872 inspecteurs salariés chargés de surveiller les 812 sections de vote, ce qui n’empêche point le trafic des suffrages de se pratiquer effrontément. La corruption envahit cette démocratie, au sommet, au milieu, à la base ; les élections se réduisent de plus en plus à un escamotage, les votes s’achètent comme bétail au marché ; le patriciat bourgeois, les propriétaires, écrasés de taxes énormes, se dégoûtent, laissent le champ libre aux politiciens de profession; députés, sénateurs, aldermen, maires battent monnaie trop souvent avec leur pouvoir. Il y a, disait-on, une troisième maison au siège du gouvernement où l’on vend la législation en gros ou en détail; vous pouvez acheter de ces gens-là des lois à la pièce ou à l’aune, à la grosse ou à la simple douzaine. Aux scandales des carpet-baggers dans les états du Sud et de l’administration du général Grant ont répondu les vols fantastiques des municipalités. New-York avait donné l’exemple : achetant à beaux deniers la presse, les juges, les députés récalcitrans, dominant la législature de l’état par son alliance avec les compagnies de chemins de fer, le conseil municipal de cette cité formait une vaste association qui accaparait tous les pouvoirs publics. En 1869, la dette de la ville ne s’élevait qu’à 30 millions de dollars ; deux ans après, elle dépassait 100 millions de dollars ; on n’avait accompli aucun grand travail, mais les officiers municipaux s’étaient enrichis, si bien que le public appelait couramment l’hôtel de ville : la caverne d’Ali-Baba et des quarante voleurs, et répétait ce dicton consacré : « Prenez garde à vos poches, voici MM. les conseillers municipaux de New-York! » En 1873, cette puissance fut brisée, mais la plupart des coupables ont évité une condamnation et l’obligation de rendre gorge ; au bout de quatre ans, sur les centaines de millions volés, la cité n’avait recouvré que 690,849 dollars dont la plus grande partie provenait d’une restitution volontaire.