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de vue sous leur pesans ébats. Tantôt on les voit dresser la tête comme une tour hors de l’eau, ou bien s’élancer dans l’air et retomber d’une masse en soulevant des montagnes d’écume. Les mâles, beaucoup plus grands, conduisent la bande et la guident devant eux. Le reste, composé des femelles et des jeunes, semble obéir à leur surveillance. Aussi les baleiniers appellent-ils ces mâles des maîtres d’école (school-masters). Cependant, les tout vieux mâles changent d’existence. D’ordinaire, on trouve ces « têtes grises, » (gray-headed) comme on les nomme, errans à l’aventure, en solitaires. Plusieurs archipels du Pacifique, les îles Galapagos en particulier ont été longtemps réputés comme lieu de rendez-vous des cachalots à certaines époques de l’année. Animaux de haute mer avant tout, ils recherchent, quand ils s’approchent de terre, les côtes abruptes et les eaux profondes. C’est ainsi qu’ils visitent fréquemment les Açores. La femelle ne met au monde qu’un seul petit, qui tette en prenant la mamelle de sa mère par les coins de la gueule ; sa mâchoire pointue ne lui permet pas d’autre façon. Les cachalots sont généralement d’humeur moins commode que les douces baleines dont Michelet nous a parlé en termes si émus et pourtant d’une si grande vérité scientifique. Il n’est pas très rare de voir des cachalots, les vieux mâles surtout, se retourner contre leur ennemi, broyer des embarcations et même foncer contre de petits navires et les mettre en péril.

Là se borne à peu près tout ce que nous savons des mœurs du cachalot ; et bien qu’on en extermine chaque année plusieurs centaines, leur organisation, leur anatomie, n’est guère bien connue non plus. Il n’est pas jusqu’à l’origine de ce nom français de cachalot qui ne soit incertaine. On trouve pour la première fois cajelo dans le récit d’un échouement de dix-sept de ces animaux à l’embouchure de l’Elbe, en 1723. Il est probable que ce nom, connu par conséquent à cette époque dans les Flandres, était celui dont se servaient les baleiniers basques, qui l’auraient eux-mêmes emprunté aux Espagnols. En vieux catalan, cachal ou caichal voulait dire dent ; le mot se retrouve d’ailleurs sous la même forme et avec le même sens dans le provençal du moyen âge, spécialement dans la Chanson de la croisade des Albigeois. Il est tout naturel que les dents du cachalot, qui semblent avoir longtemps inspiré l’effroi aux baleiniers, aient servi à caractériser un animal si différent des baleines, de même que le nom flamand potvis était une allusion à sa tête, comparée à un chaudron plein de spermaceti.

Les anciens n’ont fait aucune mention certaine du cachalot. Pline parle bien d’un grand cétacé qui serait venu de son temps se faire prendre dans le port d’Ostie, mais c’était peut-être simple-